D’abord l’horizon.

Chers curieux, chères lectrices, I’m back.

Pas tout à fait entière encore mais debout. S’il est vrai que mon silence sur ces pages est le fruit d’une vie en vrai bien occupée, il est aussi le fruit, ces derniers mois, d’une nouvelle abysse sur mon chemin. Le texte qui suit est aussi lourd que nous traitons, en tant que société, les questions qu’il soulève avec légèreté. Il est aussi teinté d’ego-trip, car, mes tripes, ont une nouvelle fois eu besoin d’être rafistolées.

Un nouveau nœud mortifère s’est formé début octobre, sur une terre meuble, une terre à l’équilibre fragile de ceux qui font tout sous tension. Un nœud formé d’injustices imposées à des portes trop ouvertes.

J’ai d’abord démissionné d’un projet de pair-aidance dans lequel tout, sauf mes pairs, me malmenait, mettant ainsi fin à de longs mois où l’inconfort à cédé au dégoût.

Puis des êtres atroces ont montré leurs visages, trahissant leur nature faite de haine, d’ego dégueu et d’insécurité et d’utilisation de l’autre au plein jour. Des êtres atroces à des endroits de pouvoir sur nous, les fous, et une cible sur mon dos assez pesante pour que je m’efface. Quelques mois du moins.

Puis d’autres êtres atroces se sont révélés à des endroits où, naïve, je pensais que s’ébattait l’amitié. Parmi nous, chers pairs, comme en tout endroit du monde, s’étend aussi la crasse. Les êtres atroces frappent là où ils voient la faiblesse : mon cœur blessé, du miel.

Alors, je ne pouvais plus ne pas voir que cette même crasse m’a accompagné toute ma vie. M’a utilisée, carencée, humiliée, trahie, abandonnée, dans des cycles sans fin de faux amours et de haine véritable. De guerre larvée permanente. De non-secours aux fusées de détresses que j’ai pourtant brandi toute mon adolescence.

Mon statut de folle, mon image de moi-même une nouvelle fois distordue, m’avait replacé dans les rangs familiaux savamment orchestrés dont j’avais réussi à un peu m’éloigner.

J’ai dit adieux au gourou, dont les ficelles me paraîtraient grossières aujourd’hui si les blessures laissées n’étaient pas si profondes. J’ai coupé les ponts avec un pan de ma famille. Les autres pièces ont joué leur jeu, un domino après l’autre : fidèles et complices, miroirs lugubres, ou aveugles volontaires, ou utilitaristes.

J’ai rejoins le clan des exclus, pour y trouver un peu de lumière, presque un peu de victoire, que je commence tout juste à savourer.

J’en suis d’abord sortie coupée en mille morceau. Dissociée, hébétée, une ombre. Des journées atones, et, pourtant, chaque engagement professionnel respecté. Je sais jouer tenir debout. J’ai été dressée pour jouer tenir debout, hauts les cœurs jusqu’à l’écœurement.

Et puis janvier, un mois sans obligation, un havre et une prison.

Le retour des pensées noires et serpentines. Voix sans scénario, dans l’horreur de mes silences. « Qu’est-ce que tu veux ? Tu veux mourir ? ». Les supporter, une ou deux fois par jour, une ou deux fois par semaine, jusqu’à ce qu’elles s’évanouissent. Les assourdir d’écrans, de bouffe et de cigarettes, de trop de benzos. Ne pas les laisser s’installer. «Tu veux mourir ?  Ta gueeeuuule ! ».

Et puis février, à remonter la pente abrupte, à glisser, à me recroqueviller, à me remettre en mouvement. À jouer à tenir debout jusqu’à presque y croire, puisque tous y croient. À continuer de préparer le futur sans voir l’horizon.

Une danse, une bière, un bon livre, du sexe. Attraper les instants encore trop rares où l’on se sent vivante.

Et puis mars. L’horizon, attendu prenant son temps, comme à son habitude. Et le serpent qui ravale enfin son mortifère venin.

Et le combat qui reprend. Pas encore la paix, les ciels de nos d’horizons ont trop goût d’apocalypse pour que les miens soient sereins. Pas encore la paix, mais de meilleurs armes, trophées des dernières batailles.

Un regard plus lucide. À tous les étages, les êtres atroces sabotent, confisquent, agitent les foules, divisent, manipulent, caressent pour mieux asservir…

J’ai appris que la foule et tous ses cercles protège les êtres atroces, la foule est trop friande du statut quo, du non engagement, de la hiérarchie. Les bonnes intentions des bonnes âmes, leur foi aveugle en une issue qui ne se réalise jamais, en leur propre bonté, le mirage d’une rédemption possible des êtres atroces, est ce qui leur confère leur pouvoir.

À moins que les bonnes âmes ne défendent surtout ce qu’elles croient posséder. Leurs culpabilités rassurées de leurs rêves éveillés, des rêves de mérite et de droiture, où ils tanguent, tantôt victimes, tantôt sauveurs.

Les êtres atroces ne changent pas. Rien ne doit excuser leurs mots et leurs actes abjects. Ni faire-art, ni faire-psychiatrie, ni faire-société, ni faire-famille ne justifient leurs maltraitances.

Qu’on aille jusqu’au bout : les êtres atroces apportent la misère, la haine et la furieuse folie.

Personne ne naît fou.

Les fous naissent des huis-clos à ciel ouvert.

J’ai appris que le combat est de porter la compassion en étendard, jusqu’à ce qu’elle soit la valeur première, pour ceux qui souffrent et non plus pour ceux qui font souffrir. Que les présupposées souffrances des êtres abjects cessent d’être un passe-droit. Que les éclats de lumière qui s’ébattent dans la merde cessent d’être un passe-droit. Et dans le sillon de la compassion, porter l’égalité. Jusqu’à ce qu’elles renversent l’idée même de statut.

Jusqu’à apprendre, enfin, à désigner et endiguer le mal, surtout lorsqu’il est devenu aussi banal que l’habitude. Comme détourner le regard quand on en est soi-même l’auteur.

J’ai appris que la compassion doit d’abord s’épanouir de moi à moi.

Si je veux partir à la guerre contre le mépris, j’ai appris qu’il faut que je regarde ce qu’il y a de plus méprisable en moi. Ce qui porte le nom de servitude et de lâcheté.

Si je veux partir à la guerre contre le mépris, je dois regarder en face les trahisons nécessaires, les traductions malheureuses, les erreurs inévitables. Avec compassion, certes, avec rigueur et résilience, surtout.

Je dois regarder le beau, aussi. Ne pas chercher à être irréprochable, s’évertuer à être proche de soi et du monde.

J’ai appris que l’hypocrisie et le stratagème protègent des êtres atroces, que sans ce masque, dans ce monde d’aujourd’hui, il n’y a pas d’accès aux endroits qui touchent les cœurs des foules et des cercles. J’apprends à déguiser et à révéler.

Je rêve qu’un jour, à ces endroits, tombent tous les masques. Et que nos récits, nos souffrances, nos rêves et leurs infinis échos, envahissent l’espace. Je rêve qu’ à travers les pensées courtes et réactionnaires dont nous sommes abreuvés, percent les voix des hordes et des îlots qui œuvrent hors du fond sonore macabre de la fatalité pour des futurs où la coopération l’emporte sur la compétition, où le moins et le mieux rendent visibles le toujours plus grand et le toujours plus vite pour ce qu’ils sont : les convulsions frénétiques d’un monde qui se meurt.

J’ai appris que ma confiance s’accorde et se retire. J’ai appris qu’aucune alliance n’est parfaite. Les alliances imparfaites sont les plus belles, qu’elles durent ou qu’elles bousculent ou qu’elles chavirent. Elles sont belles dans ce qu’elle révèlent. Dans ce qu’elles essaient.

Seul on peut si peu, mais il est aussi ô combien nécessaire de savoir quand trancher, où trancher fermement, chaque fois que se montre l’indigne et le mépris de la vie. Peu savent le faire, peu ont ce courage, peu tiennent debout face au vent nauséabond. Pourtant ce peu est ce qui nous a toujours maintenu vivants de l’espoir d’une vie désirable. Ce peu est ce qui refuse de s’éteindre devant les forteresses toujours plus dévastatrices du chacun pour soi.

Je veux lier des amitiés et des amours sereines et profondes, et de peu d’artifices, ou des copinages légers. Je veux nourrir et être nourrie, rien d’autre. Qu’on invente ensemble une paix, un partage et un refuge pour affronter ce qui terni le monde. Et pour tenir le serpent à distance.

J’ai appris, de mes identités arrachées, contraintes, médicalisées, que rien ne m’est enlevé quand je me recompose. Je continue de grandir et de fleurir. Je suis forte, intelligente, empathique, habitée. En vie parce que je reconnaît les morts nécessaires en moi.

Je serai respectueuse des jolis contrats qui se forment dans l’équilibre, je serai déloyale de toute attente entrant en collision avec mes tripes.

Je signe ici sécession de tout rêve de conformisme. Ils étaient surtout des rêves forcés sur moi. Soit une bonne fille, soit une bonne femme, soit une bonne folle… Je serai Sarah. Je serai le soleil. Je serai l’orage si je le veux.

Je serai l’eau et le vin.

Je n’aurai pas peur de me lier, je n’aurai pas peur de couper.

Je n’aurai pas peur de choisir librement mon tempo.

Enfin, j’ai appris que ceux noyés reprennent des couleurs quand ils trouvent oreilles, regards, et entrailles pour résonner. À condition qu’ils n’aient ni faim, ni froid. À condition qu’ils ne soient pas terrassés par la peur des cadavres et des prisons autour.

Que nous soyons ensemble l’orage qui appelle le soleil.

D’abord, cet horizon.

À la folie!

Sarah

Laisser un commentaire