Recette d’Une Explosion Réussie

(2ème Partie)

Ce texte est la seconde partie de l’article « Recette d’une explosion réussie », où j’ai réuni , comme un catalogue, tous les événements, les comportements et les traumatismes qui ont façonné cette première crise.

Ici, j’essaie d’analyser plus en profondeur tout ce qui pose question dans le diagnostique et le traitement de cet état extraordinaire, tout ce qui, pour moi, sont autant de preuves de la nécessité de penser des alternatives.

Printemps 2012, un lundi matin. J’explose, ou plutôt je fonds en larmes après une énième nuit blanche, je suis incapable d’aller travailler au lycée tellement ça tourbillonne noir dans mon esprit. Je me rends au Centre Médico-Psychologique (1), je m’épanche auprès de l’infirmière qui me reçoit et me renvoie vers les urgences psychiatrique de l’hôpital. Là, je suis de nouveau reçue par une infirmière, je suis en larmes et très agitée. Je rencontre ensuite un psychiatre, le Dr A., qui me diagnostique en moins de cinq minutes un état dépressif, me délivre un arrêt de travail de quinze jours et me prescrit des anti-dépresseurs.

Une grande partie de ce que je dis à ces deux infirmières se perd. Certes, je décris de la tristesse, des insomnies, un sentiment de solitude, des angoisses, mais aussi de l’agitation, un trop plein d’énergie, des obsessions, une créativité exacerbée, une forte consommation de toxiques…

Je suis un peu ébranlée par la vitesse de la « consultation », mais je vais à la pharmacie et commence le traitement.

Mon état ne fait qu’empirer, et, malgré toutes nos tentatives, à moi et mes proches, de trouver des alternatives, je perds complètement pied et l’hospitalisation se profile.

Il faut comprendre ici le mécanisme d’action des anti-dépresseurs (2). Ils sont conçus pour aider à remonter une humeur anormalement basse, une humeur dépressive. Ils fournissent alors une poussée, qui vise à rétablir une humeur permettant au patient de retrouver un peu d’élan. Les anti-dépresseurs ne soignent pas la dépression, mais c’est un outil, une béquille, qui permet d’alléger les souffrances des patients et leur permet de poursuivre le processus de rétablissement dans de bonnes conditions. Lorsque je débute ce traitement, je suis plus agitée et secouée d’idées impérieuses que ralentie. Je suis plutôt « haute », j’ai de l’énergie à revendre malgré le manque de sommeil, je monologue à toute vitesse… Je suis plutôt de l’autre côté de l’échelle de l’humeur (3), et cette poussée, celle des anti-dépresseurs, m’envoie au delà de la Voie Lactée. Les médicaments accélèrent, amplifient et créent l’état dans lequel je me trouve 10 jours plus tard, et qui me vaut une semaine d’isolement et cinq semaines d’hospitalisation contrainte.

Puisqu’il s’agit ici d’une recette d’explosion réussie, les anti-dépresseurs, c’est la source d’ignition du feu d’artifice qui couvait.

Le diagnostique de bipolarité est posé au regard de cet état en partie provoqué par la chimie. Ce qui a été et est toujours le plus dur à avaler, c’est qu’il a été posé uniquement sur la « symptomatique » visible à ce moment précis. Ma parole, mon histoire, mon récit ont été balayés pires, enfouis. Volés, en même temps que ma capacité à en rassembler les morceaux était anesthésiée par un lourd arsenal chimique.

Si vous avez lu la première partie de la « Recette », il est aisé de voir que ce qui m’a conduit jusqu’à cette première cellule glauque a des racines multiples, certaines jusque dans l’enfance et l’adolescence. D’autres sont si saillantes qu’elles peuvent, sans doctorat de médecine mais armé de bon sens, être analysées comme des causes directes de ma souffrance psychique.

Je ne vais pas revenir sur chaque aspect de ma vie qui a pu nourrir le déséquilibre, mais plutôt montrer que mes maux auraient pu bénéficier d’autres stratégies de soin.

J’ai souffert pendant près de 3 ans de troubles intestinaux très handicapants. Des diarrhées impérieuses, surtout le matin, que je traversais la peur au ventre. Assez vite, les médecins ont écartés les maladies infectieuses et chroniques connues. Les nombreux médecins, en France comme en Inde ne m’ont offert pour seul diagnostique que celui d’« intestins sensibles », quand toute ma vie était impactée, quand les diarrhées dictaient mes choix de vie.

En 2011 déjà, de nombreux chercheurs, notamment anglo-saxons établissaient le lien entre santé intestinale et santé mentale, et exploraient la notion de microbiote et de deuxième cerveau. Des travaux sur le Candida Albicans (un champignon intestinal inoffensif qui peut devenir pathogène), attirent mon attention. Mon médecin traitant rejette cette hypothèse. C’est donc seule que j’entame un régime drastique, dont le principal ennemi est le sucre, et j’obtiens des résultats miraculeux en quelques jours. Ce régime à certes des conséquences néfastes, dont une perte de poids très rapide et de possibles carences, mais c’est la seule réponse efficace que j’ai trouvé, là ou la médecine allopathique m’a abandonné.

Ces idées d’un lien entre système digestif, alimentation (sucre), et cerveau, entre inflammation intestinale et santé mentale sont aujourd’hui plus répandue, notamment avec le succès littéraire d’ouvrages tels que Le charme discret de l’intestin de Giuilia Enders (4), et la multiplication des documentaires sur les méfaits du sucre (Arte, Netflix…).

Une de mes amies étiquetée bipolaire parvient à vivre sans médicaments. Si elle confie que c’est loin d’être facile tous les jours de ne pas avoir cette béquille, une de ses méthodes les plus puissantes et mesurables pour prévenir des oscillations d’humeur trop importantes est d’exclure le sucre de son alimentation. De la même manière, à son instar, l’arrêt total ou le contrôle de ma consommation de sucre fait aujourd’hui très efficacement partie de ma « boîte à outil » pour gérer mon humeur au quotidien. C’est aussi le meilleur moyen pour moi de contrôler mes entrailles toujours régulièrement perturbées.

Je vous laisse imaginer les dégâts psychologiques qu’ont pu poser cette incontinence précoce, l’état de stress permanent qu’elle véhiculait, l’absence de soutien et d’accompagnement médical…

Il y a là chez moi une cause tangible de déséquilibre psychique, qui n’a pas été prise en compte lors de l’émission du diagnostique.

Il est pourtant difficile de ne déterminer qu’une seule cause…

Est-ce qu’un cachet de MD, quelques semaines avant ce désastreux décollage, à provoqué ma chute ? Je ne le saurais jamais, même s’il est probable que cette incartade n’ait pas aidé…

Ce qui est sûr, c’est qu’un régime de 10 pétards par jour pendant 6 mois, quand on connaît les effets néfastes du cannabis, est loin d’être sans répercussion sur la chimie du cerveau. Des études récentes montrent le caractère hautement addictif de la substance, notamment quand, comme moi, on a commencé à l’adolescence. Les conséquences de la prise régulière de la pseudo drogue douce sont nombreuses : vigilance et conscience de soi entamées, isolement social, anxiété, euphorie, dépression etc…

Là aussi, est-ce qu’un sevrage et une abstinence, ou du moins un accompagnement par un addictologue n’aurait pas été bénéfique ?

Enfin, mon caractère et mes dispositions m’ont aussi fragilisés.

Ma témérité sans borne, un côté Mme-je-sais-tout propre à la jeunesse mais chez moi amplifié, un côté bulldozer en écho des postures familiales, un déni de toute forme de faiblesse ou d’incertitude… J’ai été doté, et j’ai construit un tempérament d’excès, j’en suis responsable, j’en étais déjà responsable. Mais de tels comportements ne sont-il pas aussi le fruit d’une société du toujours plus, du toujours « mieux », du toujours plus vite ? Ne sont-ils pas le résultat d’une éducation qui ne cherche pas à développer chez tous la stabilité émotionnelle mais plutôt à produire des individus efficaces ?

J’ai aussi été une petite fille qui, je crois, voulait avant tout faire plaisir à tout le monde, respecter les consignes, bien faire, et cette disposition est restée dans ma vie d’adulte. Une disposition paradoxale: répondre aux consignes avec brio, pour mieux contourner les règles. À titre d’exemple, si mon premier voyage en Inde a été si traumatisant, c’est parce que pendant ces premières et interminables longues semaines, je me suis beaucoup oubliée au jeu de l’acculturation. Je réalisais de manière brutale que je ne savais ni prendre soin de moi, ni planifier mes journées, et que, loin de tous mes repères, je n’étais plus brave du tout, j’étais paralysée. Privée des règles du jeu, je ne savais ni les respecter, ni les contourner.

J’étais aussi dans une posture de bonne élève quand j’ai suivi ce premier traitement d’anti-dépresseur à la lettre. J’ai appris, et depuis des crocs ont poussés, rétractables mais bien présents. J’ai appris, aussi à m’écouter, à nourrir cette petite voix qui se meut dans la sérénité. La psychothérapie m’y a beaucoup aidé, mais elle ne faisait pas partie du package diagnostique que je reçois en 2012.

Combien d’« ingrédients » de cette recette aurait pu être retirés, soignés, reprogrammés ? J’ai la certitude que si on avait pu démêler cette souffrance à partir de ce nœud, mon rétablissement aurait été mille fois plus rapide et mille fois moins douloureux.

Pour conclure, cette question : Qu’est-ce-qui a bien pu justifier l’absence prise en compte de ma parole pour l’élaboration du diagnostique ?

Si j’avais été écoutée, au lieu d’être assommée, j’aurai pu bénéficier dès le départ d’une stratégie de soin globale, adaptée à mon histoire. Les angles d’attaque principaux ne sont pas difficiles à déterminer, je viens de le faire plus haut : une prise en charge de mes troubles intestinaux chroniques, une aide à l’arrêt du cannabis, une psychothérapie.

Le diagnostique pouvait bien attendre. Je méritais qu’on accorde plus de soin et de temps à l’élaboration d’une étiquette. Cette crise aurait pu rester ce qu’elle était alors : un événement isolé, elle aurait pu en tout cas être traitée comme telle.

De plus, dans la logique même de la psychiatrie, ce diagnostique présente une incohérence. Cette première crise semblait induite par la consommation de cannabis associée à des anti-dépresseurs, et dans le spectre des troubles de l’humeur, la psychiatrie décrit les épisodes maniaques vécus par le « type 3 » (3) comme systématiquement (et donc exclusivement) induite par la prise de psychotropes ou de produits pharmacologiques, notamment d’antidépresseurs…

Mais, dans la hâte, me voilà affublée d’un « type 1 » (3), avec un traitement à vie et la prédiction de nouvelles crises maniaques suivies de dépressions profondes, ce qui rend très difficile désormais de revenir à un diagnostique de « type 3 » (et à l’absence de médication), et ce malgré le fait que les crises semblent provoquées en grande partie par les traitements qui me sont prescrits. Le serpent se mort la queue…

Qu’est-ce-qui a bien pu justifier, donc, l’absence prise en compte de ma parole pour l’élaboration du diagnostique ?

La réponse est sans appel : rien.

Rien.

Les conséquences de cette violence première sont lourdes et nombreuses. On me prive dans le même temps de la possibilité de me battre en m’affublant à l’hôpital d’une camisole chimique que je garde une fois sortie pendant plus de quatre mois, entretenue par le même Dr. A, à coup de consultations de 5 min où il se contente de renouveler l’ordonnance mortifère. Quatre mois, avant, qu’enfin, un nouveau médecin me permette de sortir de la longue noyade. Ils ont gagné, je suis anéantie, passée dans le hachoir de la psychiatrie, il n’y a pas de retour en arrière.

À la folie,

Sarah

  1. Les CMP, créés en 1974 (et renommés en 1986), sont des unités de coordination et d’accueil en milieu ouvert, organisant des actions de prévention, de diagnostic, de soins ambulatoires et d’interventions à domicile, mises à la disposition d’une population.
  2. Je choisis de ne pas entrer plus avant dans les détails, l’idée ici est de montrer comment leur prescription erronée a pu me mettre en danger. Néanmoins, le sujet est très intéressant et fera l’objet d’un article consacré.
  3. Pour plus de précisions sur cette notion d’humeur, voir l’article « Bipolaire ? Le trouble bipolaire : quelques références psychiatriques ».
  4. Le charme discret de l’intestin: Tout sur un organe mal-aimé, Giulia Enders, Actes Sud, 2015.

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