Avertissement avant lecture. Chers lecteurs, chers curieuses, puisque je souhaite assumer mes contradictions, je vous informe qu’à l’heure ou je publie j’ai pris un peu de distance avec l’outil que je vais vous présenter. Non pas que je ne le trouve plus intéressant, mais parce que j’ai perdu le fil quelques semaines, quelques semaine d’un peu moins et d’un peu moins motivée… Je pense y revenir, peut-être dans une nouvelle version. En tout cas, le fait d’avoir pratiqué cet outil pendant une dizaine de mois porte encore ses fruits aujourd’hui, et il me sera aisé d’y revenir. Je vous laisse le découvrir…
Le matin, ça a toujours été compliqué pour moi. D’aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours réveillée dans la brume. J’ai de très mauvais souvenirs d’adolescence où ma mère me « sautait dessus » dès le réveil, alors que je ne demandais qu’à finir d’émerger dans la fumée de mon bol de thé. Je ne lui en veux pas, elle était levée depuis plus d’une heure, et elle avait la responsabilité d’orchestrer le ballet matinal de toute la famille.
C’était un vrai brouillard, bien épais, mais, si je pouvais le laisser se dissiper dans le calme, il n’avait rien ni d’angoissant, ni de douloureux, ni même de pénible. Il était là, c’est tout.
Quand mes mésaventures psychiatriques ont commencé, et surtout quand j’ai traversé cette première longue et profonde dépression, le brouillard a commencé à muter. Renforcé par les médicament, il est devenu une masse noire et opaque.
Il faut dire qu’il m’était de plus en plus pénible de me décoller du matelas. Je dormais 12, 13, ou même 14h, pour subtiliser le plus d’heures possibles à la douleur. Je frayais avec les frontières de l’hypersomnie. Si j’ouvrais l’œil, je le refermais vite vers le sommeil, de nombreuses fois, jusqu’à ce que le sommeil ne veuille vraiment, vraiment plus de moi. Si je tentais si fort de me rendormir, c’est parce que l’angoisse m’attendait, là, tout près de moi, et sa présence m’étouffait déjà dans ce demi-sommeil chaotique.
Dans ces journées où je n’étais capable de rien, le matin était systématiquement une défaite par forfait : je ne mènerais pas le combat, je ne me lancerai pas dans la vie, pas aujourd’hui. La masse sombre me subtilisait toutes mes chances de réussir, et me donnait une raison de ne pas réussir, une raison de me replier sur moi-même et de ne plus bouger.
Le matin et le soir sont décrits par la littérature médicale comme les moments qui véhiculent le plus d’angoisse, de nervosité et de stress. Je n’ai jamais eu peur à la nuit tombée, même dans ces états dépressifs, j’étais plutôt soulagée que mon calvaire touche à sa fin. Les matins par contre étaient terribles.
Ma vie a beaucoup changé, et je n’ai pas connu d’état dépressif caractérisé depuis bientôt 3 ans, mais ces habitudes, celles de l’enfance, et celles contractées à côtoyer la dépression m’ont longtemps collé à la peau et au cerveau. Encore aujourd’hui, je dois veiller tout les jours à ne pas laisser la masse noire me grignoter.
Quelque soit le moment ou se manifeste l’anxiété, le matin comme pour moi ou le soir, dès que sa récurrence et sa régularité sont identifiées, il m’est nécessaire d’élaborer une stratégie pour la mettre à distance, et, petit à petit réapprendre à en faire un moment serein.
Par ce billet, je voulais vous montrer comment je coupe l’herbe sous le pied à ce satané brouillard et maîtrise mieux le déroulement de mes journées. Depuis l’automne 2019, j’ai enfin un système vraiment efficace.

Comme pour nombre des outils que je vais vous proposer, il est question d’habitude, de routines et d’hygiène de vie. J’ai vécu jusqu’à mes 25 ans convaincue que les habitudes et la routine étaient mortifères, et il m’a fallut de nombreuses années ensuite pour découvrir, en fin de compte, qu’elles contribuent grandement à mon bien-être. Elles constituent un socle solide qui m’offre plus de contrôle, et aussi plus de liberté. Lorsqu’elles sont ancrées dans notre quotidien, alors, on peut à la fois se permettre de les contourner à l’occasion et les appliquer partout, en toutes circonstances : elles deviennent un repère réconfortant et familier.
En outre, je me suis choisi une vie professionnelle très, très loin d’être routinière. J’ai un emploi saisonnier de guide-accompagnatrice, où j’encadre un groupe de 40 personnes lors de sessions de 12 à 16 jours, de mars à octobre. C’est très intense, je dois me prévoir des périodes de récupération et veiller à pouvoir encaisser le stress et la fatigue à chaque nouveau départ (1). Je consacre le reste de l’année à divers projets d’écriture, je suis alors mon propre contremaître. Garantir la stabilité de mon humeur m’oblige donc à être très rigoureuse sur la façon dont j’organise mes journées et prends soin de moi. Si je peux faire ces choix professionnels ambitieux, au moins du point de vue de la gestion de ma différence, c’est avant tout parce que j’ai construit un système de soutien solide et efficace dont cette routine matinale fait partie.
Enfin, parmi les habitudes qui influent sur ces moments de tension nerveuse et sur notre sommeil, on retrouve la consommation excessive d’excitants ou de drogues tels que le tabac, la caféine, la théine, le sucre, l’alcool, le cannabis… Les traitements médicamenteux ont aussi un impact sur nos rythmes biologiques. Je n’aborderai pas aujourd’hui ces questions, mais il me semblait important de le noter.
Quelle est-elle, enfin, cette fameuse routine matinale ?
Celle-ci se met en place dès la veille. J’ai bouté mon téléphone de la chambre, il fait sa nuit dans le salon. Je laisse seulement la sonnerie des appels, au cas où une quelconque urgence adviendrait. Ainsi, je n’ai pas à lutter contre la tentation d’ouvrir Pinterest ou mes mails. J’essaie de m’éloigner des écrans au moins une heure avant de me coucher, j’ai un rituel d’écriture (2), je lis presque tous les soirs, ne serait-ce que trois pages, et je dors dans le noir complet.
Pour m’aider à me lever et à ne pas presser sans fin le bouton snooze, je place mon réveil loin du lit, et j’ai pris l’habitude, après avoir lu les travaux d’une auteure américaine dont je vous reparlerais sûrement, Mel Robbins (3), d’utiliser sa méthode pour me propulser hors du lit, à l’aide d’un décompte : 5,4,3,2,1. Succomber à la tentation de dormir cinq minutes de plus, puis cinq autres, puis… a des effets désastreux pour notre cerveau qui a chaque fois replonge dans un sommeil profond ! Ce décompte, qui active le cortex préfrontal du cerveau, permet d’agir rapidement sur l’impulsion de se lever et d’en manifester l’élan. Il marche aussi pour ce mettre en action pour toutes sortes d’activités. Que je mette en avant cette astuce pourra paraître bien léger à celui ou celle pour qui tout est combat, j’en conviens et je sais que se remettre en forme est un parcours semé d’embûches. Je sais aussi que mettre en place des outils solides se fait dans la stabilité, et j’espère que partager mes ressources pourra vous encourager à trouver les vôtres.
Le réveil sonne, je bondis ou je me traîne pour l’éteindre. Mes brouillards sont toujours très pesants, et j’attrape une première clope, hagarde. Un jour peut-être…
Dès que les premières connexions se font, je me prépare un thé, puis je m’assois pour remplir mon petit journal du matin. L’exercice ne dure que cinq minutes, je remplis la petite fiche que je me suis créée au fil du temps.
La voilà :
- J’indique la date, le lieu et l’heure.
- Est ce que j’ai bien dormi ? Pourquoi ?
- Est ce que je me sens : diminuée—bof—ça va—bien—pleine d’énergie ? Pourquoi ?
- Que puis-je faire ou vers qui puis-je me tourner pour me sentir mieux ?
- Aujourd’hui, ma priorité, c’est ce projet :
- Pourquoi ce projet est-il important ? Que puis-je faire aujourd’hui pour avancer ?
- Que puis-je faire pour améliorer mon hygiène de vie ?
- J’écris une affirmation positive.
- Je m’écris un petit mot d’encouragement.
- J’organise ma journée (tâches importantes, rendez-vous…)
- Je note l’heure à laquelle je prévois d’arrêter de travailler.
J’imprime ces petites fiches en recto verso, je couvre ainsi quatre journées par page, et je n’ai pas à recopier chaque entrée chaque matin. Je vous invite à ne pas en imprimer trop, car la pratique fait évoluer l’outil.
Cette fiche matinale me permet plusieurs choses.
Elle est d’abord rassurante. Malgré le brouillard et la légère angoisse du matin je me rends compte que quand je me pose sincèrement la question, et que je me sens mal, il y a le plus souvent une raison objective à ça : j’ai mal dormi, une tâche à accomplir m’inquiète, j’ai relâché mon hygiène de vie… Ce que l’exercice permet, c’est de chercher tout de suite un réconfort ou une solution. Avec l’habitude, on se connaît mieux et on sait quelle modification efficace mettre en place. Et parfois, cette efficacité revient avant tout à changer de point de vue.
Autre atout majeur de cette pratique, elle permet de ne pas laisser filer le temps, ce qui est utile aussi bien en temps de ralentissements qu’en phase d’excitation. Écrire tous les jours connecte au moment présent. En le remplissant jour après jour, on construit le sentiment de maîtriser ses journées, on impulse un rythme. L’oubli d’écrire peut ainsi devenir un signal qui veut dire « je prends moins soin de moi » ou « je vais moins bien ».
Identifier et définir une priorité pour la journée est aussi très intéressant. Quelque soit l’état de santé ou l’humeur dans laquelle on se trouve. Le projet peut-être simplement d’aller faire des courses, de remplir une tâche administrative ou de téléphoner à un proche. Poser l’intention, c’est se donner toute les chances d’accomplir la dite tâche, et aussi éprouver une vraie satisfaction d’avoir réussi à la mener à bien. C’est encore plus intéressant dans les moments ou tout est difficile. Au lieu de ruminer sur les « milles actions » qui mériterait notre attention, on peut agir sur l’une d’entre elle. De la même manière, poser une heure à laquelle s’autoriser d’arrêter de travailler s’avère pour moi extrêmement bénéfique. Passé cette heure, ou en dehors de ce créneau, mon temps est dédié à prendre soin de moi, à faire des choses que j’aime, à voir des amis, à ne rien faire. Du temps allégé de cette foutue angoisse de ne pas être efficace ou de dépenser mon temps dans des choses futiles qui me colle à la peau.
Je reviendrais certainement sur la technique d’affirmation positive, et sur l’intérêt de se prodiguer régulièrement des discours d’encouragement. Ces exercices visent à renforcer la confiance en soi, à cultiver l’optimisme et la bienveillance envers soi. Peut-être avez vous la chance d’avoir un coach et une équipe de cheerleaders si solide que ces pratiques vous paraîtront inutiles. Mais si, comme moi il n’y a encore pas si longtemps, vous avez connu des grands vides et que vos proches (pendant un temps ou depuis longtemps) ne s’autorisent plus à nourrir de grands espoirs pour vous, et bien, vous ne pouvez compter que sur vous même ! À consommer sans modération !
De la même façon, cette petite entrée qui paraît anodine (« Que puis-je faire ou vers qui me tourner pour me sentir mieux ? ») me permet de retrouver une vraie joie à cuisiner un plat que j’aime, lire, voir un film, me balader, prendre des nouvelles d’un ami, aller m’acheter un bouquin ou un gâteau. Ce qui me fait du bien c’est d’identifier ces choses comme des moments de partage, des moments ou je prends soin de moi, qui éclairent ma journée. Prévoir ces moments, c’est s’assurer une double satisfaction : la saveur de l’instant, et celle d’en avoir créé l’existence.
Enfin, vous remarquez que je n’ai pas parlé de mon téléphone, ce n’est qu’après avoir petit déjeuné que je m’autorise à prendre des nouvelles du monde. Il m’est très bénéfique de conserver ces premiers moments de la journée. Pendant cette première heure, ou cette première demie-heure, rien ne viens court-circuiter mes pensées, toutes tendues vers un seul objectif : organiser ma journée et lui donner dès le réveil une teinte agréable.
Ce qu’il est essentiel de retenir, c’est que l’idée de cette routine du matin est qu’elle est entièrement personnalisable.
D’ailleurs, elle ressemble un peu à une pratique encouragée en psychoéducation dans le traitement des troubles de l’humeur, et j’en suis sûre d’autres pathologies, qui s’appelle « Diagramme de l’humeur ». Chaque jour, à l’aide d’un tableau qui couvre une période d’une semaine ou un mois, on mesure son humeur, son anxiété, sa douleur, la prise du traitement, ou encore les horaires de couchers ou de repas. Je développerai cet outil dans un prochain article, mais l’idée ici est à la fois de prévenir les crises en identifiant des moments de tension et de développer chez le patient ses capacités d’analyse et de gestions de ses rythmes.
Cette pratique matinale doit avant tout répondre à vos besoins. Je n’ai jamais réussi à être assidue avec les « diagrammes », je les trouvais froids, impersonnels, mais rien n’empêche d’inclure dans ce journal matinal la prise du traitement ou une évaluation de la douleur ! De la même manière, certains d’entre vous pourrons avoir envie de supprimer certaines entrées que je propose, et de les remplacer pas de la méditation, ou même de se passer de cette phase d’écriture, et lui préférer un moment à cuisiner ses repas de la journée, à lire une page d’un livre inspirant, à sortir marcher un moment, à prendre le temps de se préparer en douceur…
Depuis quelques jours, je m’essaye à un nouvel exercice pour contrer ces premières cinq minutes de clope et d’idées désagréables. Ce matin je me suis levée, j’ai attrapé une cigarette, et très vite des idées de mort très violentes m’ont envahies, chose qui ne m’arrive plus qu’extrêmement rarement. J’ai décidé de porter mon attention sur cinq choses autour de moi qui m’évoquaient de la joie. J’étais dans la cuisine, je me suis arrêtée sur un dessin de ma nièce sur le frigo, une jolie boîte, l’ananas qui m’attendait sagement… J’étais encore un peu secouée, et je n’ai pas fini l’exercice, mais mon esprit avait assez dévié pour commencer confortablement mon écriture matinale. Je ne sais pas si cette pratique fera ou non partie de mon attirail quotidien, ou si elle deviendra un autre outil à disposition dans la boîte toujours ouverte.
Ce qui compte c’est d’essayer. Essayer assez longtemps pour mesurer les effets bénéfiques de telle ou telle pratique.
Si cette routine ressemble pour vous à un gros bloc, à une belle théorie indigeste, je vous conseille d’y piocher ce qui vous attire ou vous ressemble, et d’utiliser la meilleure technique possible, celle des petits pas !
À la folie !
Sarah.
Pssssit : Cette routine marche quelle que soit l’heure de votre matin : 6h, 8h, 15h ou 20h, ce qui est important c’est de se connecter dès le réveil !
- Cet article a été rédigé en mars. Je n’ai pas travaillé durant cette saison 2020, le tourisme étant très largement impacté par la crise sanitaire. En terme de rythme et d’équilibre j’ai envie de continuer sur la même logique: un hiver consacré à mes projets d’écriture et une saison l’été. Avec ce leitmotiv, celui de cette période trouble: qui vivra verra…
- Voir Des Comptes Au Journal, dans la rubrique Boîte à Outil.
- Brève note sur le développement personnel. J’entretiens un rapport ambivalent avec l’avalanche continue de conseils pour « coacher » nos vie. Je trouve que l’on s’y noie facilement et que la qualité des différentes approches et théories est souvent douteuse. Ces recettes magiques me semblent même malvenues quand notre vie est une douleur intense. Pour moi elle ne deviennent utile que dans un temps propice à la construction et la stabilité. Je suis une consommatrice modérée: j’essaye de profiter des conseils qui me parlent ou me touchent vraiment pour ce qu’ils sont, des outils et non des injonctions, et, surtout, de me les réapproprier. Si un article sur le sujet vous intéresse, faites-moi signe dans les commentaires.
Bonjour Bonjour, et merci pour ce billet
Cyclothymique et TPL, j’ai enfin pu mettre des mots après plus de 25 ans d’errance …
Voilà deux ans que ces mots on sonné à ma porte, un peu comme des compagnons invisibles et extrêmement douloureux qui me diraient « Voilà Nathalie, maintenant nous te montrons notre visage, tu vas pouvoir vivre avec nous » Et oui, c’était ça ! Vivre Avec , et non pas lutter Contre
Je vous lis toujours avec le plus grand bonheur , et ce billet, je le garde et je vais m’en servir comme routine de départ. EN plein processus de rétablissement, structurer mon sommeil et mes journées sont les points les plus compliqués pour moi . Je vais utiliser votre routine comme trame de départ pour la mienne.
Merci encore pour vos écrits
Nathalie
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Merci Nathalie, j’espère sincèrement que vous trouverez des méthodes qui vous ressemblent, je suis ravie si mes textes peuvent vous inspirer. Courage et petit pas!
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Je me souviens de ma mère se levant le matin, je la saluais et lui posais la question : « ça va ? », elle me répondait systématiquement et sincèrement : « je ne sais pas encore » et ça me faisait sourire. Là-dessus, on ne se ressemble pas, dès que j’ouvre l’œil, j’ai déjà le cerveau à mille à l’heure, et depuis qu’Eva est née j’ai un truc urgent à faire qui m’aide à sortir du lit : changer la couche !!! Ma mère me conseillait : « occupe-toi de toi comme si tu étais ton propre enfant », là aussi, ça marche ou ça marche pas ! Ou ça marche un temps et puis on essaie autre chose. Est-ce que viser la vraie routine celle qui marche à tous les coups, ne serait ce pas ignorer que nous ne sommes pas des robots ? Je me promène dans les différentes méthodes de « coaching » et je vois ça maintenant plutôt comme de la curiosité que comme la recherche du truc parfait. Parfait pour combien de temps ? C’est l’occasion d’essayer autre chose ! Donc en ce moment, pour le coucher, je fais les pensées de gratitude comme tu en parles dans ton dernier article, je les fais à voix hautes, et c’est très agréable !!
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