Quand j’étais gosse, j’aurai tellement, mais tellement voulu être capable de tenir un journal. L’idée d’un confident silencieux ou d’un miroir vers lequel revenir me passionnait, tout comme l’idée même d’écrire, que je trouvais mystérieuse. Il y avait mon amour du papier aussi, de son grain, de sa couleur, de son odeur, et la belle couverture, choisie avec soin. J’ai tenté de me lancer plusieurs fois, mais soit j’étais tétanisée, soit je jugeais ce que j’écrivais si rudement que je m’en dégoûtais pour un long moment. Combien de carnets j’ai eu l’impression d’avoir ruinés, combien de carnets j’ai délaissé après seulement quelques pages d’écriture maladroite ! Je me trouvais cloche aussi, et ce qui semblait être trépident devenait banal et vain une fois mes mots couchés sur la page. Même là, seule face à moi, il fallait que tout soit parfait, digne d’être lu.
A l’école, j’avais de très bonne notes en français, je faisais beaucoup d’efforts pour produire de belles rédactions. Mais à la maison, sans exercice contraint, sans les encouragements de l’instit, sans l’émulation de la compétition, sans l’attente d’une bonne note, j’étais perdue !
L’envie d’écrire a toujours été là, mais il à fallu longtemps pour trouver l’assurance de raconter et de me raconter, et plus longtemps encore pour oser être lue par quelqu’un d’autre qu’un enseignant ou ma mère…
Je ne vais pas vous faire l’affront de vous présenter ici toutes les vertus thérapeutiques de l’écriture, mais plutôt vous présenter mon cheminement vers une pratique quotidienne de l’écriture, et ce que cette pratique m’apporte dans la gestion de mon équilibre.
Depuis le mois de novembre 2019, le mercredi 20 très précisément, tous les soirs (ou presque, il y a tout de même quelques jours et quelques semaines manqués), je tiens un journal qu’on peut qualifier de « Journal de Gratitude ». Avant de vous expliquer en quoi il consiste et pourquoi cette habitude me fait un bien fou, je veux faire la genèse de sa naissance.
Très vite, l’écriture a été un moyen d’exorciser, d’analyser et de comprendre la violence de ce que je vivais, celle de la psychiatrie et celle des états extraordinaires. Petit à petit, elle est devenue une alliée pour prendre soin de moi.

Je vous ferais peut-être un jour une compile ou une sélection de morceaux choisis de ce que j’ai écris lors de ma première hospitalisation, mais il s’agit là plutôt d’un tourbillon de rage à dénoncer et s’indigner que de mots pour mes maux. À ces premières pages survoltées, succède une longue nuit de pages blanches, celles de la mélancolie et de l’encéphalogramme plat.
Début 2014, j’entame une psychothérapie, avec la Dr L. qui, si je ne le sais pas alors, devient un partenaire de choix dans mon parcours de rétablissement. En amont ou en aval des séances, je gratte, sois pour sortir la crasse avant de pouvoir la lui exposer, soit pour parfaire le nettoyage entamé dans son bureau. Pendant de longs mois, me raconter en parole et me coucher sur le papier deviennent un tandem très bénéfique. Je profite de cette nouvelle appétence pour la plume pour écrire à celles et ceux avec qui il reste un « nœud » émotionnel à démêler, avec les meilleurs effets.
Jusqu’à l’automne 2015, je reste ballottée par mon humeur, par la recherche de la meilleure chimie, la plus efficace… Je suis toujours scotchée à cette nouvelle part de mon identité qui est omniprésente, tous les jours, et ce même si je ne cesse de construire une qualité de vie toujours meilleure, un équilibre toujours plus solide. La plupart du temps, sans être « en dépression », j’ai un petit moral, et aucune certitude de jamais réussir à aller vraiment bien sur le long terme.
Néanmoins, je suis toujours en recherche de solutions, et je suis assez lucide sur mes lacunes : il faut que j’arrive à reconnaître et apprécier les petites joies simples.
Fin 2015, j’attrape donc un petit, tout petit carnet, et sur la première page j’inscris : « Comptes des petits (et grands) plaisirs de tous les jours », avec cette idée toute simple de noter, avant de me coucher, ce qui m’a apporté de la joie dans la journée qui s’est écoulée. Je ne suis pas très assidue, et si les entrées de ce carnet s’étalent dans le temps, il y a de longue périodes blanches. Mais, ce qui est frappant, dès le départ, c’est combien il est aisé de trouver une ou deux choses positives, qui m’ont sincèrement fait plaisir, et ce même dans des journées de « riens », même dans des journées aux teintes plutôt douloureuses. Tous les jours, quelque chose de beau, de tendre, drôle, magique !
Enlisée dans la déprime, ayant connu l’extase suprême, j’apprends à nouveau qu’une vie heureuse tiens surtout à des choses simples, parfois fugaces, qu’il faut apprécier et saisir. Qu’est-ce que j’y écris, dans ce carnet ? Le bonheur de partager un moment avec mes proches (31/12/15 : Réveillon tout en douceur avec Hélène et Lisa ; 2/1/16 : Mamie en forme !; 5/1/16 : Retrouvailles avec Noémie ; 4/11/16 : Revoir les collègues, surtout Lisa!), les fous rires, les découvertes (30/12/15 : … du jeux Carcassone, 6/1/16 : … de petites boutiques à Nantes, 10/05/17 : … de la littérature puissante de Damasio), les enfants qui transforment toujours la grisaille, des gâteaux délicieux, la nature magnifique (10/4/2017 : La pluie de pétales blancs du cerisier.), des succès (avoir fait du sport, me sentir efficace, me sentir bien seule, avoir osé…), etc.
Ce carnet s’avère être un outil redoutable pour cultiver l’espoir et l’optimisme ! C’est une habitude tellement légère à prendre que je vous recommande vivement d’essayer. Un petit carnet et un stylo au bord du lit, et une petite minute, moindre effort pour s’endormir sur quelque chose de positif ! Écrire ces quelques mots m’a beaucoup aidé à voir ce qui m’était essentiel et ce dont je devais apprendre à prendre soin : des relations simples, apaisées et bienveillantes, une vie qui accueille la nouveauté, être curieuse, bien manger, me construire un cadre de vie agréable, passer plus de temps dans la nature… Toutes ces choses qui reviennent sans cesse, toutes ces choses sur lesquels j’ai un pouvoir d’action simple, accessible : entretenir mes relations avec mes proches, me fixer des objectifs simples et célébrer les réussites, être disponible à la beauté du monde.
Ce carnet me permet de mieux voir mes petits pas, l’amélioration de ma qualité de vie. Tous les jours, des preuves tangibles et mesurables que suis sur le bon chemin.
Dans la continuité d’une recherche constante des meilleurs outils pour me soutenir, et avec l’assurance qu’un temps d’écriture avant le coucher dédié aux aspects positifs de ma vie ne peut que m’être bénéfique, j’ai entamé cet automne, comme je vous l’ai dis plus haut, un « Journal de Gratitude ». Je n’invente rien, je me suis laissée convaincre par divers conférenciers TEDx et auteurs de développement personnel de la valeur de cette pratique quotidienne.
Je n’aborderai pas ici ni ma relation a de tel « contenus », ni la surconsommation qui a pu être la mienne, car je souhaite développer la nécessité de placer ces conseils et ces ouvrages à distance et de les critiquer dans un prochain billet. Pour l’instant, je dirais seulement que j’ai pu y glaner ça et là des outils intéressants, et ce journal en est un.
Quand je commence ce nouveau journal, j’ai à cœur de renouveler ce moment d’introspection positive, d’être plus assidue, et de développer l’exercice pour qu’il soit le plus riche et bénéfique possible.
Dans mon « Comptes des petits (et grands) plaisirs », j’ai déjà construit cette habitude de remercier la vie pour les joies qu’elle m’apporte. Désormais, je veux enrichir ma pratique de réflexion sur toutes les choses, ou tout les domaines de ma vie pour laquelle ma gratitude n’est pas établie, naturelle. Je veux sortir de cette habitude de cataloguer des événements factuels, des sentiments accessibles, pour creuser plus profond et mieux asseoir ce sentiment rayonnant de gratitude. Je veux pouvoir analyser, changer de cap, m’inciter à porter mon attention où mon regard ne porte pas.
Ce que les approches de l’exercice proposées par les conférenciers m’ont aussi apportées, c’est qu’il est plus aisé d’approcher cette pratique sous une forme contrainte : il est plus facile d’être régulier, le risque de la page blanche est effacé, et l’habitude rend l’écriture plus fluide.
Depuis le 20 novembre, donc, armé de mon beau carnet et de mon stylo noir, avant de lire quelques pages et de sombrer, je prends le temps qu’il faut pour écrire et penser ma gratitude selon le format suivant :
- Cinq pensées pour lesquelles, ce jour, j’éprouve de la gratitude.
- Cinq pensées pour lesquelles j’ai le sentiment qu’il m’est nécessaire de développer ma gratitude.
- Cinq personnes que je souhaite remercier (en pensée, par une lettre, par quelques mots…)
J’écris aussi bien ce qui m’a évoqué ce sentiment dans la journée écoulée, que ce qui a pu me préoccuper, ou le sentiment d’être reconnaissante d’une amitié, d’un moment ou d’un période vécue, de ce que j’ai appris dans l’erreur ou de saluer une mains tendue. Le sentiment que je n’ai jamais, en fin de compte, été seule se développe, et le sentiment de sécurité qui va avec. Je découvre la valeur de ce qui est évident, tous les aspects de mon confort… Je m’habitue à convoquer les souvenirs heureux plutôt que les démons, à faire jaillir les belles leçons des batailles sanglantes.
J’ai d’abord pensé qu’il serait difficile de trouver, chaque jour, cinq pensées de gratitude, puis cinq pensées introspectives, mais elles coulent plutôt naturellement. Il y a bien sûr beaucoup de répétitions d’un jour à l’autre, selon ma vie et mes préoccupations du moment. Quand vraiment je ne suis pas motivée, je réduis le nombre de pensées à 3.
J’y place mon affection pour celles ou ceux qui peuvent traverser des eaux troubles, ou me fabriquer de petits discours d’encouragement, y noter mes rêves ou mes espoirs. J’essaye simplement que cet espace soit exclusivement réservé à des pensées de joie et d’optimisme. Je cherche à développer mes belles qualités, plutôt qu’à me crisper sur des impasses.
À la fin de cet exercice, je note une phrase d’encouragement, une résolution.
C’est aussi un moment privilégié pour apprendre à mieux prendre soin des autres et de mes relations, qui me permet à la fois de me décentrer et de me rappeler chaque jour que je ne suis pas seule.
Pour autant, la partie qui m’est la plus difficile à aborder, est en fait celle des remerciements. Beaucoup mériteraient une lettre flamboyante que je n’arrive pas à écrire, et j’ai du mal à matérialiser ces intentions. Parfois, je me rends compte que remercier l’autre, c’est simplement être là, disponible, à l’écoute, être prêt à partager. Je remercie aussi beaucoup de gens qui ne me connaissent pas, parce que j’aime leur œuvre dans le monde, je me contente de les remercier là, sur le papier, et c’est bien comme ça.
Cette nouvelle addition dans ma panoplie me fait beaucoup de bien, je m’endors assurée de la richesse de ma vie, et de ma capacité à grandir et à rêver. Je vous assure que c’est délicieux. C’est un moment paisible, même les jours de moins, même les jours de trop.
C’est vrai, je vais bien, même si cette année à été bouleversante. Si je n’ai qu’une chose à retenir de mon parcours, c’est que les plus belles armes se construisent au beaux jours, pour ne jamais tomber que toujours moins bas, toujours moins douloureux. Prendre le temps du soin de soi n’est jamais une perte de temps.
Ce mois de novembre 2019 à été riche en améliorations, et depuis je prends le temps aussi chaque matin, première chose au saut du lit, de poser mes intentions pour la journée. Mais c’est une autre histoire.
À la folie,
Sarah
C’est magnifique Sarah, ça donne envie de s’y mettre. Moi aussi j’ai une tonne de carnets commencés et il y a surtout du sombre dedans, ce qui donne envie de les jeter. Alors qu’un carnet rempli de beaux souvenirs, d’amour en somme, ça se relit forcément avec plaisir, ça agit sur nos vies car ce sont des formules magiques.
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