Le Bon Mécano

(2ème Partie)

Dans ce second volet du « Bon Mécano », j’explore les conditions nécessaires à une relation de soin en santé mentale émancipatrice, pleinement consentie et éclairée.

Avant de trouver le psychiatre dont je veux vous parler, le Dr D., parce que la relation, « l’alliance thérapeutique » que nous avons formé a été à tous points de vues exemplaire, je souhaite rapidement retracer le parcours qui m’a mené jusqu’à son bureau encombré, un jour d’automne, en 2013. D’avance, je suis désolée si cet article prend quelque peu la tournure d’une lettre d’amour, mais, si je ne lui doit pas la vie (quoique…), je lui dois en grande partie ma qualité de vie et ma stabilité psychique.

« J’entre en psychiatrie » au printemps 2012, sous la forme d’une hospitalisation sous contrainte très violente, suite à une « crise maniaque » en partie provoquée par une erreur de diagnostique du Dr A. qui m’a reçu aux urgences psychiatriques dix jours avant ce premier enfermement. À l’hôpital, le diagnostique des Dr XYZ est aussi implacable que soudain : me voilà bipolaire. Je sors de cinq semaines d’HP affublée d’une camisole chimique qui prive mon esprit de tout mouvement. La camisole est renforcée tous les quinze jours au CMP, par ce même butor de Dr A. à coup de renouvellement de prescription chronométré. Je suis alors au domicile familial, et c’est peu dire que je nourris une haine intense du psy, d’une intensité relative au vu de la pesanteur de mes pensées chloroformées.

À l’automne, je me retrouve un appartement à Rennes, après un doux coup de pied aux fesses salvateur de ma famille qui veux que je conserve mon indépendance et mon autonomie. Je suis assignée à un nouveau CMP, et donc à un nouveau toubib, le Dr J., qui m’accueille d’un « Mais mademoiselle, il y a de quoi assommer un cheval, ça ne va pas du tout ! » et lève rapidement un peu du brouillard. J’ai assez coulé ces derniers mois pour être enterrée par une dépression abyssale, les antidépresseurs du Dr J. me font surnager, puis m’envoler de nouveau. Je suis encagée une seconde fois par les Dr XYZ, et je combats ensuite une nouvelle dépression.

C’est à ce moment que je décide, enfin, d’écouter le conseil de ma mère et d’un des membres du groupe de parole auquel je participe depuis peu : « Tu devrais aller voir le Dr D., c’est un spécialiste reconnu des troubles de l’humeur ». J’ai toujours la rage, mais la vie m’a appris à écouter les conseils, surtout s’ils viennent de sources multiples et bienveillantes.

Me voilà donc, un jour d’automne 2013, à patienter dans un canapé qui m’avale, entourée de tapisserie murale marron.

Dr D. arrive, pantalon en velours et cheveux argent, on s’assoit selon le rituel, et il m’en bouche un coin direct. Il me demande pourquoi je suis là, et je raconte en quelques phrases, d’où jaillissent ma méfiance et mon dégoût pour les gens de son espèce.

Il attend que je finisse, et il me dit :

« Vous savez, je suis là pour faire de vous votre meilleur psychiatre ».

Peut-il y avoir meilleure proposition ?

Je ne vais pas vous détailler 5 ans de consultations régulières avec le Dr D., mais plutôt vous montrer que toute relation entre patient et soignant qui se veut vertueuse et efficace repose d’abord sur la confiance.

Revenons d’abord sur ce terme d’ « alliance thérapeutique » que j’ai employé en début d’article.

Il apparaît aux États-Unis dans les années 30 et se répand très largement à partir des années 70. C’est une notion empirique, c’est à dire qu’elle trouve son fondement dans l’expérience et l’observation. L’alliance thérapeutique est le meilleur facteur prédictif, ou le meilleur garant des résultat d’une thérapie, qu’il s’agisse d’une psychothérapie (psychanalyse, thérapie comportementales et cognitives) ou d’un traitement médicamenteux.

L’alliance thérapeutique repose sur plusieurs éléments essentiels. Tout d’abord, la capacité du patient à travailler et à s’investir dans la thérapie est reconnue par le praticien. Ce dernier montre au patient son engagement, et son investissement, il est encourageant et empathique. Le patient reconnais les compétences et la bienveillance du soignant, il lui fait confiance. Enfin, chaque étape du processus de soin, ainsi que ses objectifs sont consentie par le patient de manière éclairée. Dans un accompagnement qui repose sur une alliance thérapeutique, le soignant s’appuie sur les savoirs du patients, les savoirs sont ainsi mutualisés, et la collaboration et l’adhésion aux soins s’appuie sur une négociation ouverte (1).

Le thérapeute qui cherche à construire cette alliance va s’efforcer de la développer dès les premières séances, et ce de plusieurs manières. Quand le Dr D. me dit « je souhaite que vous soyez votre meilleure psychiatre », il pose d’emblée les bases des conversations et des matches à venir, sa volonté de m’aider, celle que je sois impliquée dans le processus de soin. C’est la première fois qu’un psychiatre se présente à moi à sa juste place : celle d’un scientifique dont le savoir et les compétences peuvent m’être utile, rien de plus. De plus, cette phrase porte aussi la promesse d’une émancipation, l’hypothèse d’arriver à ne plus avoir besoin de psychiatre  !

Dans la première partie d’ « Un bon mécano… », la recherche d’un thérapeute compétent pouvait apparaître comme extrêmement fastidieuse. À défaut de vous éviter la démarche pénible de devoir rencontrer plusieurs psychiatres ou plusieurs psychothérapeutes avant de trouver quelqu’un qui vous convienne, j’espère que cette seconde partie vous aidera à mieux définir vos objectifs et vos attentes avant un premier rendez-vous. Si le thérapeute ne vous indique pas clairement, dès les premières séances, sa volonté de travailler avec vous et de vous impliquer, d’étoffer vos savoirs et vos connaissances, s’il ne vous fait pas entrevoir l’espoir d’une qualité de vie meilleure, peut-être vaut-il mieux passer votre chemin.

De la même manière, un psychiatre qui pratique des consultations de 15 min et/ou qui se contente de renouveler votre ordonnance n’est jamais un bon psychiatre, sauvez-vous !

Pour entamer le travail, il faut pouvoir déposer sa résistance et sa méfiance, afin de participer au processus de soin de manière active, éclairée, et, le plus important, consentie.

J’étais tellement blessée par le traitement que j’avais reçu à l’hôpital, par les dépressions abyssales, et par les prophéties du pire dispensées par la majorité des psychiatres que j’ai mis de longs mois avant de retrouver l’espoir et de me mettre réellement au travail.

A aucun moment, pourtant, le Dr D. n’a manqué de m’informer le mieux possible, ni de commencer à affiner le traitement. J’ai aujourd’hui le même, installé en 2016. Il aura fallut quatre ans depuis la première crise pour trouver une béquille qui m’aide à être stable et solide, sans effets secondaires majeurs. Si la prise de ces cachets implique des contraintes, je ne me sens limitée en rien!

Le traitement n’est qu’une partie de la thérapie. Le Dr D. m’a expliqué les moindres rouages, tout ce qu’il connaissait du trouble qui fût possible de m’aider. Il a passé l’ensemble de sa vie à étudier les troubles de l’humeur, il était un spécialiste renommé. (il s’est éteint le 22 février 2019, à l’âge de 64 ans). Il ne m’a jamais infantilisée. Quand nous n’étions pas d’accord, il travaillait à me convaincre et non à m’imposer. Il m’a dispensé des informations essentielles sur la manière dont ma façon de vivre impactait le trouble, il m’a donné des outils pour réapprendre à gérer mes rythmes et mon hygiène de vie. Il m’a aidé à prendre des décisions quand à l’ « administration » de mon trouble, à naviguer entre ALD (2), RQTH, AAH (3).

Il a passé un an et demi à me convaincre d’aller suivre une session de psychoéducation dans un programme de soin qu’il avait créé. La question de la psychoéducation sera fréquemment et largement traitée au fil des articles d’USBF. Elle peut être brièvement définie comme de l’éducation thérapeutique visant à prévenir risques et rechutes et ayant pour but l’amélioration de la prise en charge et de la qualité de vie des patients. L’expérience a changé ma vie et mérite un article qui lui soit entièrement consacré.

Cette confiance mutuelle m’a permis de me reconstruire, et aussi appris à savoir demander de l’aide auprès d’autres thérapeutes, et à ajuster mes attentes selon le praticien que j’ai en face de moi, selon que l’alliance thérapeutique est satisfaisante, partielle ou impossible.

J’ai entamé au printemps 2013 une thérapie par la parole avec la Dr L., et cette psychothérapie auprès de quelqu’un qui, elle aussi, posait les bases d’une confiance mutuelle et de mon émancipation m’a aidé à me reprogrammer après ces séismes, et à me traiter moi-même avec douceur et bienvaillance. Le Dr L., bien qu’elle aussi psychiatre, n’a jamais été ma prescriptrice.

Le traitement n’est qu’une béquille, une partie de la stratégie à déployer, la psychoéducation et la psychothérapie m’ont permis de me nettoyer de nombre de schémas et d’habitudes sclérosées. L’alliance de ces deux thérapies en parallèle et leur séparation m’ont été très bénéfiques.

Le Dr D. assurait le rôle de « mécanicien » traitant principalement l’aspect médical du trouble (même s’il faisait bien plus), et la Dr L. m’aidait à reprendre confiance en moi, à m’alléger, à rêver et espérer à nouveau.

Le Dr D. est parti en retraite au cours de l’hiver 2018, et la Dr L. la prendra très bientôt. Est-ce que j’en suis attristée ? Oui, bien sûr, leur aide m’a tellement apporté ! Mais le plus beau cadeau qu’il m’ont fait, c’est de me rendre autonome ! Après 5 ans de consultations auprès d’eux, à bâtons rompus, j’ai une telle connaissance du trouble et de moi-même que je suis assez solide pour prendre soin de moi, et assez avertie pour toujours trouver des thérapeutes décents pour m’accompagner.

J’ai vu 3 psychiatres différents avant de rencontrer le Dr S. L’entente entre nous n’est pas parfaite, je la trouve un peu rigide et elle doit me trouver un peu impertinente, mais j’ai confiance en elle et en son sérieux. Elle est mon nouveau mécano. J’essaierai de ne pas attendre d’avoir un coup de mou avant de trouver un ou une nouvelle psychothérapeute, mais je ne suis pas pressée.

Ces thérapeutes ont beaucoup en commun, nous l’avons vu. Ils ont aussi eu en commun le sérieux d’adapter la durée et la fréquence des séances selon mes besoins, de ne minimiser aucune douleur, d’être réactif à l’apparition des signes précurseurs d’une crise autant que mobilisés lors d’une phase dépressive. Ils sont aussi capable de faire le lien avec mes proches, si besoin, et ce de manière fine. Autant de qualité à rechercher auprès de ceux qui vous accompagnent.

3 ou 4 années, c’est ce qu’il a fallut pour me reconstruire, me sentir assez forte, et me façonner une belle vie. Si on m’avait demandé, à l’été 2012, si je croyais qu’il était possible que je retrouve une telle qualité de vie, je n’aurai sûrement pas répondu, les yeux dans le vide, noyée par les médocs et la douleur. J’ai 33 ans, et je l’espère beaucoup de nouveaux printemps devant moi. Maintenant je sais, et le meilleur reste à venir.

À la folie,

Sarah

  1. Pour aller plus loin dans la compréhension de cette notion, je vous propose d’aller lire l’article L’alliance thérapeutique : un concept empirique de J.-N. Despland, Y. de Roten, E. Martinez, A.-C. Plancherel et S. Solai, paru dans la Revue Médicale Suisse n°2315, dont voici le lien https://www.revmed.ch/RMS/2000/RMS-2315/20758
  2. ALD: Affection Longue durée (reconnaissance de la chronicité d’un trouble et de la nécessité de soins prolongés par la Sécurité Sociale, exonérante ou non), voir le site de l’Assurance maladie.https://www.ameli.fr/medecin/exercice-liberal/presciption-prise-charge/situation-patient-ald-affection-longue-duree/definition-ald
  3. RQTH: Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé, et AAH: Allocation Adulte Handicapé. RQTH et AAH sont toutes deux attribuées par la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), la RQTH ouvre, entre autre, des droit à un accompagnement spécifique vers/dans l’emploi. L’AAH est une aide financière qui garanti un minimum de ressources aux personnes qui en sont titulaires. Pour plus d’informations vous pouvez consulter le site des Services Publics. https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits

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