Guide de Survie en Isolement

Bienvenue dans une pièce de dix mètres carrés. A peu près.

Peut-être que tu te réveilles attachée, sans savoir où tu es.

Si tu viens des urgences, tu peux sentir ta peau nue, ton dos et tes fesses sur la matière plastique, par l’ouverture froide de la blouse. Il n’y a que le noir et l’idée de ceux qui t’ont attaché là. Tu es terrorisée, tu n’en guériras peut-être jamais, de ce réveil.

Si tu n’es pas entravée, fais attention, les encoches sont là, juste sous le matelas, dans la planche de bois. Les sangles ne sont jamais loin.

Peut-être qu’on t’y a traîné. 5 contre 1. Une piqûre qui laisse ta cuisse douloureuse.

Tu t’aperçois au réveil que tes vêtements ont changé, tu es nue dans le pyjama bleu.

Il n’y a rien qui t’appartiennes ici.

Un matelas, sur une planche vissée au sol. Il est fait d’une mousse, et d’un plastique épais, dont le froid colle à la peau.

Un seau. Tu ne sais peut-être pas encore pour quoi.

Si tu es chanceuse, peut-être une meurtrière.

Si tu l’es moins, peut-être trouves-tu la Charte de la Personne Hospitalisée (1), affichée au mur dans un coffret blindé. Cette charte qui dit noir sur blanc: « Toute personne est libre de choisir l’établissement de santé qui la prendra en charge », « L’information donnée au patient doit être accessible et loyale », « Un acte médical ne peut être pratiqué qu’avec le consentement libre et éclairé du patient », « La personne hospitalisée peut, à tout moment, quitter l’établissement », ou encore « La personne hospitalisée est traitée avec égards »…

Tu la lis comme une insulte. Ici tu n’as aucuns droits. Aucuns.

Un hublot, et le noir derrière.

Le silence, ou d’autres cris que les tiens.

C’est tout.

Bientôt tu connaîtras chaque tache, chaque craquement de la peinture des murs. Prend ton temps.

Bientôt, et pour toujours, tu connaîtras l’odeur métallique laissée par les excréments, la souffrance et la javel.

Mais d’abord, ton seul sentiment sera la révolte.

S’il-te-plaît, ne te fais pas trop mal, ne frappe pas trop tes mains, ta tête, les murs sont sourds. Attrape le seau, fait le claquer contre les murs, empli la pièce de bruits indolores.

Personne ne va venir.

Tu découvres enfin la sonnette. Tu appuies et appuies, fort, le plus vite possible, une éternité.

Une éternité.

Une tête passe par le hublot, qui t’ordonne de te calmer, et d’arrêter d’appuyer sur la sonnette. Quelqu’un passera bientôt.

Peut-être.

Peut-être toutes les deux heures, ou seulement à l’heure des repas. Peut-être, si tu appuies une fois ou deux, mais peut-être pas.

Tout peut se passer dans ta cage, tu es seul. Tu peux mourir d’angoisse, tu es seul.

L’agitation se mêle déjà d’ennui.

Tu apprends déjà la résignation.

Pour sortir, il faut jouer leur jeu sordide.

Il faut manger, même ce que tu n’aimes pas, même la viande, même le porc.

Il faut être docile, et t’asseoir sagement sur le bord du matelas, les mains en évidence.

Combien de fois veux-tu manger attachée ?

Il faut se taire. Tout ce qui ne sors pas de ta bouche assèche le moulin.

Il ne faut pas demander.

Ou plutôt si, une chose, pas plus. Une cigarette, un peu de temps hors de la chambre, une demande « raisonnable » à la fois.

Tes passages aux toilettes sont chronométrés. Il y a le pot.

On te dis toujours d’abord non.

Apprend la frustration.

Tu n’auras ni tampon, ni serviette, ni papier toilette, ni livre, ni musique.

Rien, le silence autour des cris de ton esprit.

Apprend la frustration.

Occupe toi, raconte-toi les histoires du mur. Compte tes pas, de 1 à 1000, de 1000 à 1. Cours autours du lit, le plus vite que tu peux. Fatigue-toi.

N’oublie pas.

Les sangles ne sont jamais loin.

La résistance à la frustration est ton seul pouvoir.

La cage va d’abord s’entrebâiller, après plusieurs jours. Une heure, peut-être moins.

La permission s’étire jusqu’à une journée, une cage un peu plus grande, toutes les portes sont fermées.

Mais il y a les voix et les regards des autres. Ils savent qui tu es. Tu es un pyjama bleu.

Tu crois respirer quand tu quitte l’isolement, mais la route est encore longue. Retiens tes demandes, formules-les pas à pas, une à la fois.

Il y a aussi de nouvelles règles dans la nouvelle cage, nous en parlerons bientôt.

N’oublie pas, les sangles ne sont jamais loin.

À la folie,

Sarah

  1. Charte de la Personne Hospitalisée, voir le lien: https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/charte_a4_couleur.pdf

Chers lectrices, chers lecteurs, vos expériences de l’isolement m’intéressent. La manière dont nos droits, notre intégrité et notre dignité sont bafoués, et les nombreuses maltraitances qui sont commises dans ces « chambres » qui s’apparentent souvent à des salles de torture sont très largement méconnues du grand public. N’hésitez pas à me contacter, vos récit pourront, avec votre accord et publiés anonymement ou en votre nom, donner lieu à une contribution sur le blog.

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