Été 2015, je passe une semaine au sein de la petite unité psychiatrique du CHU de Rennes, pour effectuer une modification de traitement qui demande surveillance. Pour la première fois, je suis hospitalisée alors que je vais par ailleurs plutôt bien, dans des conditions confortable : c’est une unité ouverte, je suis libre d’aller et venir, et de partir quand je le souhaite.
Aujourd’hui je veux vous parler d’une jeune femme qui m’a bluffé : Mme Système D.

Je suis un peu fière d’être en hospitalisation libre, ça veut dire que je prends soin de moi. Et un peu blasée, c’est quand même une parenthèse de plus à éponger. Carrément blasée même, en aurai-je jamais fini avec ces histoires de toubibs et de médocs ? Et il fait tellement beau…
Mais je n’ai pas le choix. Je sors de 15 jours de colonie de vacances, où j’étais animatrice. À mi-parcours mes jambes se sont mises à gonfler, gonfler. Elles ont triplé de volume, et mes pieds ont pris trois pointures, si bien que la veille de mon unique jours de congé, la douleur était telle que j’en avais des vertiges… Ce job d’animatrice, c’était le premier depuis de longs mois. Moi qui croyais que ma tête me lâcherait, c’est mon corps qui a hurlé stop !
La directrice, une de mes rares employeurs à avoir été confidente de ma différence, m’a amené chez le médecin. Le responsable de ces effrayants œdèmes c’est avéré être un de mes régulateurs de l’humeur, la dépakine (1). Si je le précise ici, c’est que cette molécule peut aussi provoquer des malformations congénitales, et qu’il n’est plus prescrit aux jeunes femmes depuis quelques années. Je dois donc, quelque part, une fière chandelle à ces méchants œdèmes.
Outre l’arrêt du traitement dans un futur proche, le généraliste me recommande de jolis bas de contention. Je passe ma journée de congé les jambes en l’air dans ma tente, et je ne quitte plus mes mi-bas couleur chair jusqu’à la fin de la colonie. Oui, même en maillot de bain sur la plage.
Revenons à nos moutons. J’ai une petite semaine à tirer avant la prise de sang qui validera la transition de médicaments. Je suis d’abord deux jours seule dans ma chambre jusqu’à ce que je découvre les petites affaires de ma nouvelle voisine de chambre. Si je dis ses « petites affaires », c’est que tout était joli, rangé. Des petites trousses fleuries, de beaux crayons, le lit fait carré, carré…
Je rencontre enfin la jeune Mme Système D et nous faisons connaissance. Elle me fait entrevoir qu’elle aime que tout soit rangé, soigné, que c’est important que je ne touche pas à ses affaires. Elle panique un peu quand elle met trop de temps à trouver quelque chose.
Rapidement, parce que les murs endorment la pudeur, nous nous confions. J’apprends qu’elle reçoit tout juste un diagnostique de bipolarité. J’apprends aussi, non sans surprise, qu’elle en est sincèrement soulagée.
Entre nous, il y a, dès le début un contrat tacite. Nous savons quand parler, quand arrêter la conversation en douceur avant le trop plein, nous laisser de l’espace. Un grand respect et la maturité de ne pas empiéter l’une sur l’autre. Nous nous dévoilons petit à petit.
Elle a quelques années de moins que moi, et aussi quelques années de psychiatrie de moins que moi. Au départ, j’avoue avoir pensé avoir beaucoup à lui apprendre.
Mais au fur et à mesure qu’elle se raconte, j’entrevois sa sagesse, et l’ampleur du système qu’elle a construit pour vivre sa différence le mieux possible. Son système de rangement, qui saute aux yeux. Mais aussi la façon dont elle s’entoure. Dont elle privilégie les amitiés solides, profonde. Dont elle demande à ses proches de prendre en compte sa différence, consciente de ce qu’elle demande, mais sans s’en excuser. Elle écrit beaucoup aussi, pour comprendre et se comprendre. Elle régit sa vie de manière très mathématique, son emploi du temps, ses temps de repos, se tenir loin des excès.
Je retrouve chez elle cette conscience de soi-même que j’ai à cœur de travailler et qui est si rare. Une sensibilité toute particulière aussi.
Oh ! Ce n’est pas parfait ! Son système est énergivore, elle vit encore beaucoup de tension et d’angoisses, et peut-être que moins de rigidité la soulagerait. Mais ce n’est pas à moi d’en juger, d’autant que je suis épatée de la manière dont elle navigue ses montagnes russes.
Mais surtout, je n’entrevoit aucun déni. Mme Système D semble dire à tout instant : « Je prends soin de moi. J’apprends à me connaître. Je trouve des solutions. J’ai un système qui marche. Je suis heureuse de pouvoir l’affiner. », et cette puissance, j’ai mis tellement de temps à la construire, ça a été tellement douloureux avant de la trouver !
Ce qui me bluffe, aussi, c’est que pour la première fois je rencontre quelqu’un pour qui le diagnostique était une vraie promesse d’espoir, quand il m’a tant ravagée. J’en suis tellement bouleversée que je me rends compte que mes conseils doive tomber à côté de la plaque. C’est assez drôle de lui dire « Il ne faut pas que tu te laisses définir par la pathologie. » quand pour elle l’étiquette doit être une pièce manquante du puzzle. Quand elle se connaît si bien alors que j’étais étrangère à moi même avant de me rafistoler.
J’ai partagé quelques ressources, quelques noms de toubibs, de bouquins, quelques éléments pratiques et théoriques de gestion du trouble, et je lui ai laissé mon adresse mail, qu’elle n’a pas saisit. Je ne me fait pas de mouron pour pour celle, qui, certainement, ne mérite plus le colifichet de « Système D », je suis sûre qu’elle avance avec force, espoir et courage.
C’était vraiment sidérant, de voir que nous avions eu, nous avons à faire le chemin inverse vers le bien-être.
Ce qu’on avait en commun, par-dessus tout, c’était la quête de la douceur envers nous-même et du lâcher prise. Et, en ce sens, cette belle rencontre d’HP a été un soleil.
Sarah.
Je vous invite à aller faire un détour par l’article « Vous n’êtes pas là pour vous faire des amis », pour mieux apprécier ce qu’une telle rencontre a de précieux.
- Pour en savoir plus sur la Dépakine: https://www.franceinter.fr/societe/depakine-2-000-a-4-000-cas-de-malformations-majeures
Coucou, je tombe sur ton blog en errant sur Comme des fous. J’ai lu ta présentation et quelques uns de tes articles, tu as une très belle écriture 🙂 je laisse un commentaire ici car je me reconnais beaucoup dans système D, on dirait moi, j’ai trouvé un équilibre en utilisant les même ressorts qu’elle. Amitiés profondes, écriture, temps de repos, vie carré, militaire, quasi monastique, et même soulagement d’avoir enfin le nom de ce mal qui me ronge, de cette matière gluante qui entrave mon cerveau. De fait toi qui a chuté dans ta bipolarité, en te lisant je ne me reconnaissais pas dans cette colère, ce sentiment d’injustice presque, cette impression d’une vie à l’arrêt. J’ai toujours eu plutôt l’impression d’une quête, comme tu le dis d’un puzzle auquel il manque des pièces. Seule, année après année, depuis mes 14 ans je survis, je me suis élevée jusqu’à la folie complète, « perchée » hé oui, j’ai touchée Dieu du doigt, et de fait j’ai su, pour ma maladie, et depuis, d’avoir un traitement adapté, je vis (même plus, allez j’ose, la psychose n’empêche pas l’humour… je suis ressuscitée :-D) . Ça fait seulement depuis 1 an, j’ai donc passé 14 ans avec la Mort qui me sussurait à l’oreille, tous les jours quasiment, alors tu peux imaginer comme maintenant chaque jour est vécu comme un petit miracle en soi ! Tout ça pour dire comme tu l’as bien compris, il y n’a pas qu’une manière de vivre la folie, c’est bien de le dire aussi, de faire savoir qu’on peut avoir la folie sereine (oxymore..) et pas revendicatrice. Entre les lignes tu racontes ta rupture avec la normalité, avec une vie remplie jusque là d’un amour familial fort, alors je me dis, peut être la différence entre nous vient de là, j’ai grandi comme une rose au milieu d’un désert, alors je ne pouvais pas être déçue par la nature humaine, je ne pouvais pas tomber plus bas, et même si j’ai creusé seule au fond de mon trou, je savais que je devrais escalader seule aussi pour remonter, au moins assez haut pour avoir la force de crier et qu’on m’entende, et en attendant… écrire, essayer de vivre en se sentant mourir, ordonner son petit monde pour ranger un peu sa tête, croire quand même au fond du fond à la lumière au bout du tunnel sans avoir besoin de se mettre sur les rails. Je raconte pour dire autrement une même maladie 😉 Contente dans tous les cas que tu puisses trouver toi ton salut par la lutte et parmi les mots de ton blog, bonne continuation et merci ! Ps : Rigolo aussi car « système D » , « SD ».. ce sont mes initiales !
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Hello SD! Merci pour tes compliments, et, surtout, pour ce partage, qui souligne si bien que, même si certaines douleurs, ou certaines victoires nous rapprochent, chacun de nous est singulier! Je souhaite de tout cœur que le miracle, la folie sereine continueront de se déployer pour toi, ils nous rendent plus fortes pour affronter chaque nouvelle secousse :).
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