Il est des jours moins pleins, moins sûrs. Souvent, ils s’insinuent, au compte goutte d’abord. Dans un réveil éteint puis oublié. Dans quelques heures pénibles assise au bureau. Dans des émotions mangées plutôt que soignées. Dans une dispute qui me secoue. Un rendez-vous que j’annule. Une petite somme de petites choses qui entament ma fierté. L’impression que le temps m’échappe.
J’oublie les succès passés. Que tout était parfait, ou imparfaitement maîtrisé, il y a 24h, puis 48h, puis la semaine dernière.
Je ne veux pas voir toutes les raisons qui expliquent que je ralentisse. Je les vois. La fin d’une période de travail intense, une transition difficile vers un nouveau projet. Un changement important dans mon environnement. Les mauvais réflexes, les sales habitudes qui reviennent au galop. La petite voix qui me guide qui devient muette parce que je l’ai trop repoussée. Une déception, un constat d’échec… Je les vois, je comprends le nœud qui se forme sous mes yeux. Je suis responsable du nœud, je n’ai pas d’excuses. Je sais que me sentir responsable fait d’abord mal avant de me libérer. (1)

Je laisse la brume m’envelopper, j’offre des minutes ou des heures à l’indécision. Je laisse mon esprit se remplir à nouveau de toutes les barrières, toutes les traces des freins que les années et les mois noyés ont laissé. Tous ces mois avec le ciel qui me clouait au sol.
Je me vois faire. Je reconnais chaque décision.
Rapidement, j’ai l’impression que le ciel redescend, et c’est la culpabilité qu’il m’amène.
Je me sabote. Des micro-sabotages.
Est-ce qu’un jour je pourrais être oisive, ralentie, ne rien faire, sans me sentir opprimée ? Sans l’impression de glisser doucement mais sûrement vers ce qui ne se rattrape plus ?
Je sais que si je place sur mon chemin des montagnes trop hautes à gravir j’appelle le ciel.
Je sais que si je ne soigne pas mes relations aux autres, que je ne pense pas d’abord et toujours à prendre soin de moi le ciel s’alourdit et menace.
Je sais que si mon temps est offert aux quatre vents il devient glissant. Je sais que je m’épanouis dans la régularité, dans une vie structurée, dans la maîtrise de l’horloge.
Je sais que j’attends toujours plus, toujours mieux de moi, et que pourtant, je ne peux grandir que si je fais attention aux petites choses, aux petits gestes.
Je sais que j’ai besoin de repos, mais je ne sais toujours trop le prévoir, et je subis les repos forcés que mon esprit et mon corps me réclament.
Je sais que la vie que je désire mener, celle libre de contraintes salariales trop lourdes sur mon temps, implique une discipline qui doit être nourrie tous les jours, tous les instants.
Je sais que je suis très seule, chaque fois que la distance entre moi et les étoiles se réduit. Je sais que j’ai choisit cette solitude, plutôt que les tâches grises et leurs résidus que ces moments construisent entre moi et le monde. Je choisis de l’exprimer parfois, mais je garde la spirale en moi, je l’expulse ailleurs.
Je sais que si je m’éparpille, je me désintègre, et qu’il devient dur de me sentir entière.
Je sais.
Et pourtant je continue de construire des crises de tétanie.
Heureusement j’ai appris. Je sais que je ne dois pas offrir trop de jours à ce ciel lourd qui se rapproche et qui aspire l’espoir, qui suce hors de moi toute confiance.
J’ai appris que le repli vers moi peut-être salutaire, le temps de rassembler mes contours.
J’ai construit et je construis une boîte à outil toujours plus fournie, je suis la mécanicienne de mon esprit.
Je vais mieux, puisque j’écris ce texte.
Le souvenir de la dépression, de tous ces mois où je suis morte, ne s’évanouira peut-être jamais, mais je choisis de porter mon endurance comme une victoire sur des batailles que je n’ai plus à mener.
Les dépressions se sont transformés en états dépressifs, puis en ralentissement, puis en glissades et en coups de mou.
Je me réveille chaque fois plus forte. J’organise chaque nouvelle naissance.
Je sais quelle ficelle jouer, très souvent d’abord le rythme.
Je ne laisse me suivre que ceux qui m’aiment sans me faire mal. Je n’ai jamais peur de laisser entrer le neuf, et de déposer l’ancien, l’obsolète.
J’accepte de me tromper, d’être toujours imparfaite. Je ne demande à personne d’être parfait.
Je recherche un équilibre qui ne soit pas précaire.
Je fais de petits pas vers la meilleure luminosité possible.
Je sais que le ciel descendra de nouveau.
Je fais de mon mieux pour qu’il ne réussisse plus jamais à me pousser vers la tombe.
Même quand je trébuche, je sais que je peux.
Même si le coup que je reçois a un aspect différent, une texture inconnue, je sais que je peux.
Je sais que je peux.
À la folie,
Sarah
- Il n’est bien évidemment pas ici question de se sentir responsable d’une violence ou d’une agression qu’on a subit, ni de la perte d’un être cher, etc… L’humain est parfois un animal cruel, et la vie place devant nous des heures bien sombres. Néanmoins, la responsabilité se situera ici comme un outil essentiel pour (re)construire l’équilibre.