L’anecdote que je partage aujourd’hui, je suis sûre que chacun et chacune de mes pairs en a au moins une en stock. Il s’agit de ces (nombreux) moments où, clairement, le psychiatre ou le psychologue dépasse largement ce que prévoit ses prérogatives. Ces moments où, forts d’une toute puissance institutionnalisée, ils (ou elles) se permettent de poser un jugement qui n’est plus médical ou thérapeutique sur la façon dont nous devrions mener nos vies, dressant ainsi continuellement la liste de ce qui est incompatible avec nos états. Ces jugements sont parfois insidieux, ce sont les pires, surtout s’ils sont répétés. Parfois, ils sont tellement énormes et ridicules, qu’ils sont tout de suite démasqués.

Printemps 2016. Je vais bien, vraiment bien. Je ne vais pas « trop bien », je ne suis pas en danger : je dors, je mange correctement, j’ai un rythme, j’aime la vie que je mène, j’ai rencontré une nouvelle troupe d’amis, j’ai même un peu de libido, j’ai un boulot… Cette période-là, c’est vraiment ma période Renaissance. Oui, avec un R majuscule. Je n’ai pas fait d’envolée maniaque depuis décembre 2014, et je me sens bien tous les jours ou presque depuis de longs mois. Je bosse comme surveillante dans un collège, au sein d’une équipe merveilleuse. Tout va bien.
J’ai entamé un suivi avec Cap Emploi. Mais si, vous savez, la branche « handicap » de Pôle Emploi. Ils sont un peu perdus, avec les handicapés psychiques. Comment on aménage le travail, pour un bipolaire ? Comment on trouve un employeur qui accepte qu’on ait des périodes très productives, et d’autres, très très improductives ? Comment ça se mesure, l’humeur, dans le monde de l’entreprise ? Comment obtenir un poste et des responsabilités en adéquation avec nos compétences, et qu’ils soient ajustable en fonction de notre état de santé ? Bref, ils sont perdus. Cap Emploi fait donc appel à une association, pour « évaluer » et « faire des bilans » de nos états. Je me plie au jeu, ceux qui commencent à me connaître savent que je suis d’abord plutôt bonne élève. Mon conseiller est assez sympa, il ne me met pas la pression. Il est humain et empathique, il comprend que j’ai besoin de récupérer encore, encore un peu plus longtemps avant les grands projets. Il comprends aussi que comme beaucoup, beaucoup de gens de 29 ans, et bien… je suis paumée, quoi. Que faire, dans quel étagère et tutti quanti. On « évalue » et on « fait un bilan » quand même, du mieux qu’on peut. Et cette « évaluation », elle comprend un passage obligé : l’ ENTRETIEN AVEC LE PSYCHIATRE RÉFÉRENT.
Vous l’avez compris, c’est là que ça dégénère.
Je connais un peu la bête, j’ai déjà eu affaire à lui à l’HP. Il fait partie de cette espèce de psychiatre qui se permet l’humour. L’humour presque grivois, celui qui plaît tellement aux jeune femmes en pyjama bleu (sic.aaaargh.beurk).
Pourtant, comme je l’ai dit plus haut, je me plie à l’exercice, je suis bonne élève. Je lui raconte donc ma vie. Je lui raconte comme je vais bien (voir liste plus haut). Je lui indique que je suis gréviste depuis trois semaines et que je participe à un collectif de défense des personnels précaires de l’éducation. Nous sommes en plein cœur du mouvement social contre la loi travail.
Il me demande si je ne risque pas de perdre mon emploi, ce à quoi je réponds que je ne pourrais exercer le métier de surveillante qu’au mieux une seule année de plus. L’éducation nationale ne permet d’exercer ce métier essentiel largement sous évalué que 6 ans, et je suis dans ma cinquième année. J’ajoute que la professionnalisation de mon métier fait partie de nos revendications.
Surtout, je lui dit que je me sens à ma place, utile et efficace au sein de ce collectif.
En aparté : c’est une grosse part de ma Renaissance, ce mouvement social !
L’entretien se termine, sans qu’il ne livre aucune conclusion. Un signe avant-coureur de sa poltronnerie?
Quelques semaines plus tard, j’ai rendez vous avec mon conseiller pour le « bilan » de ce « bilan ». Nous relisons ensemble ses conclusions, qui sont en adéquation avec nos discussions et son attitude bienveillante.
Puis nous lisons ensemble l’ AVIS MEDICAL, dont je vous ai scanné une copie que les curieux pourront télécharger ci-dessous. Le PSYCHIATRE REFERENT se permet deux très belles sorties :
- « une posture militante de gréviste qui semble faiblement adaptée à sa problématique psychique »
- « une posture de revendication paraissant assez peu adaptée »
Je suis tout de suite bien sûr extrêmement gênée : de quel droit se permet-il de dire que ma différence m’empêche d’exercer les droits qui sont ceux de tous citoyens ? De lutter pour mes, pour nos droits ? D’exprimer mon mécontentement envers mon employeur, ou nos dirigeants ? Mais alors, est-ce que je peux voter ? Être juré ? Me présenter à une élection ? Réfléchir ? En quoi militer est une activité plus dangereuse qu’une autre ?
Et, au-delà, est ce que je n’ai pas le droit de prendre des risques, comme celui de perdre mon emploi (dans ce cas précaire et à durée de vie limité) ? Si je suis maltraitée au travail, ou exploitée, je dois la fermer ?
Une chose m’a aidé à voir tout de suite qu’il s’agissait d’une violence gratuite. Ou plutôt quelqu’un. Mon conseiller a eu ces mots : « Enfin, ça, là, c’est un jugement moral, c’est pas très intéressant. »
Je ne le remercierai jamais assez : il m’a évité une grosse surchauffe mentale des familles.
Nos différences ne font pas de nous des citoyens de secondes zones !
À la folie !
Sarah
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