Ruptures Amicales (1ère partie)

Je n’ai pas de recettes magiques. En amitié, comme tout le monde, je n’ai pas toujours été parfaite. J’ai parfois été lâche, ou à côté de la plaque, j’ai souvent été un bulldozer…

Il y a du beau en chacun d’entre nous, mais ce joyaux, cette précieuse étincelle universelle ne justifie aucun acte méchant, aucune violence. En amitié comme en amour, nous ne devrions pas faire de compromis. Si quelqu’un nous fait du mal, de manière répétée, « consciente » ou non, avouée ou non, et ce quel qu’en soit la racine, il faut savoir couper.

Souvent, les choses ne sont pas aussi tranchées, et le mal est plus insidieux. C’est plutôt la dynamique, les attitudes ou les sujets récurrents, le partage de la parole, le partage du savoir, et celui du pouvoir aussi qui sont en jeu. Si le malaise est là, il faut le disséquer, et faire la différence entre ce qui est pérenne et ce qui est transitoire. Et parfois, là aussi, il faut savoir s’éloigner.

Tout contrat amical doit avoir pour fondement le bien-être des deux parties.

Nous, qui sommes marqués par la psychiatrie dans nos chairs, nous le savons bien, nous ne sommes pas des bêtes dangereuses, mais trop souvent des proies faciles. Il est assez que l’institution et l’administration nous malmène, nous n’avons pas besoin que nos proches nous infligent une double peine. J’ai intitulé l’article Ruptures Amicales, il pourrait s’appeler Ruptures Amicales et Familiales. Si je choisis de braquer d’abord le projecteur sur les relations entre amis, c’est parce que je sais qu’il est plus facile de choisir ou de se défaire d’amis, que de s’affranchir de tout ou partie de sa famille. Les liens ne sont pas les mêmes, et nos amis ne jouissent pas des mêmes leviers affectifs que nos familles. Ni du même arsenal légal. Tant mieux, qu’on puisse, là au moins, respirer un peu.

Qu’est-ce qu’un ou une amie ?

Chacun aura, j’en suis sûre une définition toute particulière. Pourtant, je veux commencer cette réflexion par un regard positif sur l’amitié, puisqu’il s’agit ensuite d’expliquer comment et pourquoi il est nécessaire de se défaire des relations toxiques qui se déguisent d’amitié.

Une amitié, c’est une relation rare, profonde, qui se joue du temps qui passe, de la distance et des petites fâcheries. L’amie, c’est celle avec qui on partage des valeurs et des sentiments réciproques. L’ami, c’est celui qu’on retrouve avec facilité et plaisir, non pas inchangé, mais inchangé dans son amour et son intérêt pour nous. On dit qu’on ne peut les compter que sur les doigts d’une main, je ne sais pas si c’est vrai, mais je sais que deux vrais amis et parfois même un seul valent mieux que tous les copinages. L’amitié est précieuse, porteuse et libératrice, et, comme l’amour, elle s’entretient et s’équilibre. Elle est un partage, un échange entre deux personnes qui se reconnaissent égaux. Elle est bienveillante, et cette bienveillance est sans cesse nourrie, elle reste toujours présente.

L’ami, c’est celui qu’on peut appeler quand tout va mal, mais aussi celui qu’on préserve. L’amie, c’est celle pour qui on garde toujours sa porte ouverte et qui a parfois raison de nous la claquer au nez. Les amis, c’est aussi ceux à qui on ne demandera jamais ce qu’on n’est pas prêt à donner. Ceux pour qui on est prêt à se mouiller, mais pas à se perdre.

Enfin, si le lien d’amitié est un engagement, il est pour moi basé sur l’indépendance et l’émancipation des deux parties. Si leur réalisation n’est pas toujours parfaite, elles doivent être et demeurer à la base du contrat. L’amitié rend plus fort, elle permet de mutualiser les forces et les savoirs, elle n’a pas pour rôle de se substituer au manques et d’entériner les excès, mais bien de les combler et de les adoucir, chacun pour soi-même et l’un pour l’autre.

Certaines leçons de la vie sont dures à encaisser. Pour moi, il a fallut un vide social intersidéral pour comprendre la valeur de l’amitié, et ne plus la confondre avec ses nombreux piètres avatars.

Enfant et adolescente, il y a toujours eu beaucoup de monde autours de moi. Tellement, même, que je n’ai jamais eu à me poser trop de question sur l’amitié. Je distinguais les relations plus profondes et plus durables des autres, je savais qu’elles avaient une valeur et une saveur que les autres n’avaient pas, et c’était tout. Je me nourrissais et je m’éparpillais partout, si bien que ma vie sociale était une nébuleuse fournie, diverse, de grandes troupes, de petites tribus, de trios et de duos, auxquels j’appartenais pour un jour, une saison, une année, et plus rarement depuis toujours. Mon présent était très riche, peut-être trop, puisqu’il ne m’a pas appris à être forte dans la solitude.

Cette habitude de toujours être « abondamment » entourée à commencé à se fissurer après mon retour de mon année d’étude indienne. Je venais de perdre en un vol Delhi-Paris une troupe magnifique et festive faite d’étudiants venus des quatre coins du monde. Une des expériences les plus riches de ma vie, celle de côtoyer tous ces jeunes gens brillants, indiens, népalais, nigérians, finnois, anglais, congolais, afghans, iraniens… et ce point final, brutal : nous ne serons jamais plus réunis. L’atterrissage en France m’a assené un second coup : les jeunes adultes qu’étaient les membres de cette nébuleuse de copains avaient continué de cheminer en mon absence, d’autant plus que j’avais passé quelques dix huit mois à l’étranger ces trois dernières années. Les grands groupes avaient éclatés, c’étaient reconstitués sous d’autres formes, et tous s’étaient choisis de nouveaux lieux de vie, de nouveaux projets. Des nouvelles têtes avaient fait leur arrivée, d’autres avaient pris la poudre d’escampette. J’étais complètement perdue, et j’avais très souvent le sentiment d’être un cheveux sur la soupe.

Ma vie a continué de glisser (1). Quand je suis sortie de l’HP, après cette première hospitalisation sous contrainte qui m’a laissé quasi-momifiée, ma traversée du désert à commencé. Tout à coup, mes semaines devenaient vides d’âmes, se suivaient et se ressemblaient. J’ai passé plus de neuf mois dans une solitude cruelle, parfois sans voir personne pendant plusieurs semaines. Souvent, je n’avais d’autres contacts humains que les coups de fil de ma mère. Ce serait mentir de dire qu’absolument personne ne m’accompagnait. Les copains qui avaient formé une garde rapprochée avant l’hospitalisation ont continué de me manifester leur amitié chaque fois que nous nous croisions. C. surtout, a été très régulier auprès de moi, il fait partie des personnes à qui je dois littéralement la vie. Deux amies, A. et K., sont venus me voir, m’ont régulièrement proposé des activités. Il et elles ont été mes bouées. Quelques amis de longue date, malgré le fait que je n’avais pas soigné ses amitiés ces dernières années, se manifestaient ponctuellement, assez pour maintenir le lien et m’assurer de son existence. Tous les autres avaient disparus.

Pourtant, je ne reproche à aucun de ne pas avoir accompagné un quotidien qui n’avait rien à offrir. Tous ces mois de douleurs où je ne contemplais que mon miroir brisé sont autant de mois où je n’ai accompagné aucune des douleurs de mes amis. L’assurance, pourtant, qu’ils étaient là, renouvelée par leurs égards ponctuels pour moi, a suffit pour que je survive à cette solitude qui, bien que terrible et étourdissante, n’a jamais été totale. Ne suis-je que chanceuse ? Je ne le crois pas, je crois plutôt que j’ai choisi de cultiver cette assurance, celle que les gens m’aimaient, mais aussi celle que les copinages qui n’avaient pas survécu à l’explosion n’en valaient tout simplement pas la peine. Je dis ça sans amertume. Ils et elles n’ont pas été là pour moi, la maladie m’a effacé de leur vie, c’est tout. Était-ce de la méchanceté ? Je suis sûre que non. De la lâcheté ? Peut-être un peu, mais qui peut les blâmer ? N’était-ce pas aussi pour se protéger ? Faire face à la douleur à vivre extrême que je présentais étais une épreuve, une épreuve que l’on n’affronte que pour ses proches, et aussi une douleur qui désarme, qui fait écho, et je comprends qu’on n’ait pas pu ou voulu y faire face. Était-ce m’abandonner ? Je ne vais pas mentir, le silence radio de certains à fait mal, mais, en fin de compte, avec la plupart, aucun contrat « à la vie, à la mort » n’avait été signé. Je n’ai eu de cesse de reconnaître qu’à leur place, moi aussi je n’aurai fait que ce que je pouvais. Enfin, je n’ai pas besoin d’être une petite souris pour savoir que tous ont été désolés et tristes pour moi.

L’important, c’était qu’il y ait eu assez de monde autour de moi à croire à mon rétablissement, à qui je pouvais demander de l’aide, et à qui je ne faisais pas peur. Et si, cette année là, seules trois ou quatre personnes m’ont accompagné de façon régulière, dix fois plus m’ont assuré de leur amour et de leur soutien, ne serait-ce qu’un fois. Une fois peut sauver la vie !

À chaque étape de mon rétablissement, je prenais un peu plus l’ampleur de ce que ma douleur avait complètement masqué. Certaines amitiés et de nombreux copinage d’avant ce sont petit à petit recomposés, en même tant que la vie m’offrait de belles rencontres. En retrouvant ma capacité à être empathique, je réalisais combien la vie est loin d’être un long fleuve tranquille, pour chacun d’entre nous. Toutes ces personnes qui n’étaient pas auprès de moi vivaient eux aussi parfois en eaux troubles, elles n’étaient pas épargnées par la maladie, par les ruptures, par les deuils, par les échecs, qui, ajoutés aux tracas ordinaires, obligent à prendre d’abord soin de soi. Je découvrais les douleurs, parfois immenses, que ceux qui m’accompagnaient m’avaient épargnés. Je me rendais compte combien, tout ce temps, mes relations à l’autre avaient été déséquilibrées. Même si je n’avais pas le sentiment de trop demander, je n’avais de mon côté, pas grand chose à donner.

Je vais mieux, et cette posture de ne m’être jamais sentie intentionnellement ostracisée, et le recul de savoir reconnaître mes propres manquements en terme d’amitié et de copinage m’aide toujours beaucoup. Qui n’a jamais laissé personne sur le bas côté ? Qui n’a jamais laissé filer le temps sans donner de nouvelles ? Qui ne s’est jamais trouvé d’excuses pour ne pas venir en aide à quelqu’un ? Qui n’a jamais déçu ?

Avant de vous expliquer pourquoi j’ai intentionnellement coupé les ponts avec certaines personnes, et pourquoi j’ai la profonde conviction qu’il faut savoir le faire, d’autant plus quand on est fragile, j’avais besoin de vous montrer combien il a été important pour moi de comprendre que certaines relations ne survivent pas au temps et aux épreuves, et que ce n’est, après tout, que bien humain. C’est chose faite.

À la folie,

Sarah

  1. Voir Recette d’une explosion réussie 1 et 2.

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