Prendre soin de soi n’est pas une sinécure !

Chères lectrices, chers curieux, en cette fin du moi de mai, j’entame un programme de « remise en forme » pour sortir d’une humeur maussade et ralentie qui me colle aux f***** depuis de trop nombreuses semaines. Je vous propose dès dimanche prochain de suivre chaque semaine mes progrès, mes pas de côté et mes efforts pour retrouver la belle énergie que je me sais capable de me construire. Je sais que ces prochaines semaines vont être difficiles, que je vais devoir produire de nombreux efforts avant de pouvoir en mesurer les effets bénéfiques.

Aujourd’hui j’ai donc envie d’un beau Coup de Gueule. Non, les portes de la sérénité ne s’ouvrent pas toutes seules. On a parfois besoin d’un pied de biche, ou de courir un marathon minutieux.

D’autant plus quand on traverse de grandes tempêtes, et qu’aucune terre n’est encore en vue.

Des réseaux sociaux aux rayons de développement personnel des librairies, en passant par les salles de sport des nouveaux espaces de co-working, l’invitation à prendre soin de soi est omniprésente. Ces corps en sueur radieux et ces orgasmes publicitaires autour de crème de jour rajeunissantes et de gélules « coup de boost », laissent à penser que prendre soin de soi est glamour, apaisant, et procure bien-être et libération immédiats. Prendre soin de soi, c’est le kif… Pire : c’est naturel.

Il y a des états qu’aucun bain moussant au monde ne saura soigner. La vie porte en elle le beau comme le terrible, et il est des moments où tout vacille, où l’on perd pied. Parfois, c’est un séisme violent, un deuil, une séparation, un licenciement, des dettes impossibles. Parfois, on s’aperçoit trop tard que la vie nous quitte doucement depuis déjà longtemps.

Pour nous psychiatrisés, ces états sont souvent récurrents. La chronicité des troubles dont nous souffrons, leur caractère extra-ordinaires nous amènent à de perpétuels retours vers la douleur et le mal à vivre. Il nous faut souvent traverser de longs déserts avant d’entrevoir un nouveau départ possible.

Quelque soit notre parcours, lorsque le goût et le sens de nos vies sont si dilués que nous traversons chaque journée et chaque tâche en mode auto-pilote, nos capacités à prendre soin de nous sont endormies. Nous sommes recroquevillés, chacun à sa façon : orgies de « contenus » semis-choisis, heures alitées qui s’étirent, litrons de bière et overdoses de sucre. Notre corps est ralenti, ampoulé, douloureux. Nous cherchons la solitude ou l’agitation. Le vide, ou le trop plein.

Nous cherchons surtout à ne pas trop penser, à ne pas regarder la douleur en face, dans le miroir. Et pourtant, ces émotions ressurgissent toujours : la colère, la frustration, la culpabilité, le sentiment de ne jamais faire ce qu’il faut, de ne pas en faire assez. Ces émotions nous entravent, et les limites de ce qui est confortable et supportable ne cessent de se resserrer.

Comment alors quitter l’apathie ?

« IL FAUT » pendre soin de soi.

Mais l’injonction, le « IL FAUT », le « JE DOIS » ne marche pas. Prendre soin de soi est un choix. Prendre soin de soi, ce sont des millions de choix, répétés jours après jours.

L’attention que nous nous portons ne peut nous amener vers la joie si elle n’est guidée que par le désir de se conformer à la société et aux regards de ceux qui nous entourent. Faire tout « parfaitement », de l’assiette à l’éducation des gosses n’est pas nécessairement ce qui rend heureux.

Prendre soin de soi demande de développer des qualités d’introspection, d’être capable de se regarder être, dire, faire. Pour que ce dialogue interne soit riche et vertueux, nous avons besoin d’engager notre responsabilité. Rien ne sert de blâmer le monde, la société, les autres. Oui, nous pouvons être noyés, six pieds sous terre sous la merde. La solution viendra toujours de nous. De nous, et de notre capacité à nous entourer et à demander de l’aide. Des voix qu’on choisit d’écouter. De nous, et de notre capacité à nous rassembler et à lutter ensemble. De notre capacité à construire un monde où les plus vulnérables peuvent s’abriter et se reposer, pour reprendre le chemin.

(Re)découvrir sa puissance, c’est la quête de toute une vie, la reconquête de pans entiers de notre existence que l’on croyait perdus, l’exploration d’espaces insoupçonnés.

Je crois sincèrement que nous pouvons nous transformer, nous pouvons toujours découvrir une liberté plus riche. Ce chemin est émaillé de difficultés, mais il est aussi ponctué de victoires et de récompenses bien plus grandes et bien plus entières que les gratifications instantanées fugaces que nous offrent nos échappatoires quotidiennes.

Parfois, les chantiers à entreprendre sont immenses, trop nombreux et entremêlés. L’énergie manque, la vie ne passe en nous que par filets. En 2013, au cœur de la plus terrible dépression que j’ai connu, j’avais besoin d’écrire « me brosser les dents » et « prendre une douche » sur une liste, sans pour autant réussir à mener à bien ces tâches essentielles le jour même. Écrire ces mots, poser ces intentions, c’était prendre soin de moi.

Parfois les chantiers sont immenses. La vie est un tourbillon qui nous emporte, nous et l’angoisse, dans une valse macabre dont le tempo nous échappe. En 2012 et en 2013, les semaines qui ont précédé mes montées maniaques ont été remplies d’achats compulsifs, erratiques. J’ai creusé des découverts salés que j’étais bien incapable de combler avec mes maigres revenus. Au sortir de l’hôpital, j’ai pris rendez-vous à la banque, et j’ai signé pour une carte de retrait electron, une interdiction de découvert et un plafond hebdomadaire à 200 euros. Cette décision, c’était prendre soin de moi.

Il y a toujours eu une voix en moi qui m’invitait à continuer le combat, même lorsque j’y étais sourde, même lorsque je ne pouvais que survivre. Chaque pas, chaque poussée dans la bonne direction est à chérir.

On ne peut pas tout changer d’un claquement de doigt. On ne peut pas changer sans efforts. Je déteste entendre cette phrase « Je ne peux pas changer, je suis comme je suis ». Nous sommes, nous, nos cerveaux, nos corps, nos désirs, des êtres plastiques, modelables. Il ne s’agit pas de dire « quand on veut on peut », mais je crois sincèrement que nous ne pouvons nous satisfaire d’apposer à nos vies un perpétuel « je fais ce que je peux ». Les limites peuvent être repoussées, adaptées, contournées.

Lorsqu’on entre en psychiatrie, les limites à ce qu’il nous est possible de faire et d’être peuvent devenir étouffantes. Nous devons construire, pour nous même et pour nos pairs un discours alternatif qui soutient que ces limites ne sont jamais fixes et qu’elles ne nous définissent pas. Nous devons nous créer une prophétie alternative, lumineuse, où notre connaissance de nous-même guide nos progrès et ouvre de nouveaux possibles.

Nous sommes toujours forts et fortes des batailles gagnées, même et surtout quand il s’agit de réussir à vivre un autre jour.

Si prendre soin de soi n’est pas une sinécure, c’est aussi parce que cela ne se limite pas à certains aspects survalorisés sur la toile et dans les pubs : le sport, l’hygiène/l’apparence, et les recettes magiques en cinq préceptes de certaines productions plus ou moins douteuses de développement personnel. Pour moi, ce travail demande souvent d’agir sur de très nombreux aspects de sa vie : notre monde émotionnel et intime, notre santé, nos relations à l’autre, nos rythmes, nos habitudes de consommation, notre vie professionnelle, nos activités de loisir, nos certitudes et nos croyances, notre place dans le monde, nos habitudes…

Agir sur certains plans peut être extrêmement difficile. Prendre soin de soi démarre souvent par un accouchement douloureux. Évaluer une situation ou une habitude avec lucidité est déjà une tâche ardue. Sur le plan des relations personnelles, couper avec un proche maltraitant n’est pas chose aisée, surtout quand ça vient complètement redessiner un ensemble de relations sociales. Lorsqu’on croule sous les dettes, visualiser le bout du tunnel peut paraître une croyance impossible.

C’est exactement ce qu’il faut développer : la foi. Pas une foi aveugle, mais une foi en notre propre capacité à nous engager envers nous-même.

Il n’y a en apparence, rien de simple dans cette entreprise. La simplicité, la fluidité, c’est la conséquence de nombreux efforts. La récompense au bout du chemin, qui vaut tout l’or du monde.

Je trouve que le meilleur moyen de faire ses premiers pas, c’est d’évaluer d’abord la distance entre sa vie rêvée et sa vie actuelle, puis de visualiser tous les petits pas, tous les efforts quotidiens qui seront nécessaires pour atteindre ces objectifs. Sont-ils réalistes ? Correspondent-ils à une réelle envie, un besoin ? Si vous détestez le sport, et que deux heures de salle quotidiennes vous séparent de votre objectif, avez-vous vraiment envie de vous auto-flageller jusqu’à la fin de vos jours ? Si vous avez une stature balèze et un métabolisme lent, comme c’est mon cas, êtes vous sûre de vouloir manger de la salade toute votre vie pour rentrer dans une taille de vêtement dont personne ne voit l’étiquette ? Si vous trouvez votre patron odieux, et que vos collègues vous sortent par les trous de nez, et que les tâches que vous accomplissez vous paraissent vides de sens, avez-vous vraiment envie de leur lécher les pattes pour obtenir une promotion ?

Quelque soit le ou les chantiers en cours, la difficulté majeure est d’accepter qu’il n’y aura pas ou peut de gratifications immédiates. Au contraire, prendre soin de soi demande patience, abnégation, et courage et peut engendrer bien des frustrations, bien des douleurs.

Une nouvelle habitude n’apparaît pas dans nos vies par miracle, elle a besoin de plusieurs semaines pour prendre ses aises. Découvrir ce qui fonctionne pour soi et se créer une méthode est un processus long, toujours perfectible. De la même façon, dire adieux à certaines habitudes, à une forme de confort qui peut apparaître comme étant ce qui nous maintient debout, ou assez en vie pour vivre un autre jour, n’a rien d’intuitif, au contraire. Notre cerveau fait résistance, il faut créer de nouveaux circuits! L’envie a souvent besoin de germer longtemps avant de se matérialiser. Ce n’est pas grave, ce qui est important, c’est d’apprendre à l’écouter et à lui faire confiance.

Cela permet de transformer « il faut » et « je dois » en « JE VEUX » et « JE SUIS FIÈRE ».

Combien de fois j’ai voulu tout changer du jour au lendemain ! Aujourd’hui je sais que quand le besoin d’adapter ma vie à mes projets et mes envies se fait sentir, ma meilleure arme est une discipline minutieuse et méthodique, sous la forme de petits pas et de répétitions. Je prends le temps de trouver et d’aiguiser mes outils. Désormais, je préfère fixer de petits objectifs le long du parcours. Je sais que la routine est ma meilleure amie, moi qui l’ai fuit comme la peste pendant toute la première partie de ma vie.

Un des plus gros apprentissage de mon parcours de rétablissement a été de savoir demander de l’aide. J’essaye de d’adresser une demande auprès de la personne qui me semble le plus à même de m’aider chaque fois que je me sens coincée : un professionnel de santé, ma famille, un ou une amie…

Pour prendre soin de soi, le lien à l’autre, aux autres est indispensable. Nous souhaitons, au fond, pouvoir nous ouvrir, nous sentir accueillis dans notre humanité comme dans notre singularité. Pour cela, nous avons besoin d’apprendre à nous entourer d’amis qui n’ont pas peur de se mouiller, qui n’ont pas peur de nous écouter, même, et surtout lorsqu’on parle des douleurs de la dépression, des traumatismes de l’HP, des pensées de mort qui peuvent nous envahir. Apprendre nous-même à écouter l’autre, nous connecter à lui, est aussi une des plus belles façons de vivre l’instant et de nous connecter à nous-même. Nos cœurs réclament des amitiés à contre-courant de cette lubie contemporaine de la vitrine bien polie et de l’image savamment construite qui ne souffrent aucune écorchure.

Enfin, et c’est pour moi le plus important, pour prendre soin de nous nous avons besoin de nous (re)connecter à nous même, de renforcer notre lien avec notre boussole interne. Prendre soin de soi demande d’apprendre à se connaître, d’apprendre à respecter ses désirs profonds, d’apprendre à laisser libre court à sa créativité, à ses élans.

Par cet article, j’ai pris soin de moi. Parfois, l’écriture est fluide, je peine à suivre le rythme des phrases qui s’enchaînent dans mon esprit. Parfois la source est tarie, comme elle l’a été ces dernières semaines, et il me faut me forcer. M’imposer de me mettre devant l’ordinateur et de commencer à écrire. Pour cet article, j’ai lâché le clavier de nombreuses fois, j’ai fait des détours mortifères vers Youtube et Netflix, Pourtant, sans écrire, je me sens moins vivante, moins vibrante.

Prendre soin de soi est un acte d’amour.

À la folie,

Sarah

2 réflexions au sujet de « Prendre soin de soi n’est pas une sinécure ! »

  1. Quelle joie de te retrouver ❤ Tout est si juste, comme toujours, et transmet tant d'énergie et d'humanité.
    J'aurais bien besoin moi aussi de me remettre en forme mentale, émotionnelle et physique et trouver vers où me diriger dans cette tempête embrumée qui dure, de mon côté. Je te suis !

    J’aime

    1. Merci beaucoup C. :), oui, entraînons-nous! De mon côté, j’ai rattrapé un peu mon retard, et ton dernier article sur le masking est édifiant. Cher lecteurs, chers curieuses, je vous invite à visiter son site pourquoi pas autrement , et lire cet article sur le besoin, la nécessité pour les personnes autistes (ou toute personne atypique, ce sont les mêmes mécanismes) de développer des stratégies d’évitement, de dissimulation, de contrôle et d’imitation ou d’invention afin de paraître moins autistes, dans l’espoir d’être accepté·e ou tout juste toléré·e. Ce texte fait écho à ce que je peux vivre en tant que psychiatrisée, et vous permettra de mieux comprendre cette notion de « masque » qui émaille mes articles. Bien entendu, vous trouverez sur le blog de C. beaucoup, beaucoup d’autres articles, travaillés en finesse, avec une sincérité lumineuse <3. https://pourquoipasautrement.wordpress.com/2021/06/02/masking-camouflage-autistes/comment-page-1/#comment-1232

      Aimé par 1 personne

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