J’ai détruit ma carte bleue.

Chers lecteurs, chères curieuses, aujourd’hui je partage avec vous un nouvel aspect de ma vie privée. Dans cet article, il sera question d’addiction, de consommation et d’achats compulsifs. De honte aussi. Mais, surtout, il sera question de solutions pratiques. J’espère que ces lignes pourront être utile à certains de mes pairs, où à toute personne qui se reconnaît dans la flambe.

Cet article a été rédigé il y a près d’un mois, aussi je vous propose une petite mise à jour en bas de page en italique. Spoiler: le démarrage vers la sobriété a été très, très chaotique…

Enfin, pour que mes articles soient utiles au plus grand nombre, n’hésitez pas à liker, commenter et partager :).

J’ai détruit ma carte bleue, et il était temps. J’ai perdu les pédales, depuis déjà de longs mois. Les racines de cette nouvelle frénésie d’achats sont vieilles de plus d’un an. Elles se sont formées au cœur des confinements successifs liés à la pandémie de covid-19.

Comme pour la plupart des gens, je crois, les assignations à résidence successives ont chamboulé mes habitudes. Comme des lions en cage, sortis une demi-heure à une heure par jour, nos logis sont devenus le théâtre de nos vies toutes entières.

Je me suis bien agitée, dans cette cage : les premiers mois de pandémie m’ont permis de rédiger presque une année d’articles pour Une Si Belle Folie. Mais, les journées, redevenues aujourd’hui si souvent trop courtes, s’étiraient alors dans une morne monotonie.

Une nouvelle passion est venue colorer ces journées lasses. Je me suis jetée corps et âme dans le maquillage : les techniques, les pigments, les astuces, les associations de textures et de couleurs… J’ai commencé à dévorer des vidéos de tutos, de recommandations… Un univers fabuleux s’offrait à moi. J’apprenais un nouvel art, c’était excitant, enivrant.

Mais, au fil des mois, cette nouvelle passion est devenue par certains aspects un poison.

Quand j’ai commencé à m’intéresser au maquillage, il y a un peu plus de deux ans, je n’y connaissais rien, ou presque. J’ai des rougeurs sur le visage, que je corrige depuis longtemps, mais, à part une fine couche de correcteur, parfois de fond de teint, la plupart du temps, je me contentais d’un peu de mascara. Pour une fête, je pouvais tenter un peu d’ombre à paupière ou un rouge à lèvre, mais c’était très occasionnel. Ma collection se limitait à quelques articles, achetés avec parcimonie au fil des ans.

J’ai a cette époque commencé à développer deux addictions : l’achat compulsif de produits de maquillage et la surconsommation de vidéos et de posts sur youtube et instagram faisant l’apologie de tel produit, telle tendance, la seconde addiction alimentant la première.

Je me suis fait complètement avoir par les jeux vicieux de la surconsommation : comparer les prix sur différents sites, guetter les soldes, remplir son panier pour avoir les frais de port gratuits…

J’ai traqué chaque produit, pour l’acheter au meilleur prix, toutes les semaines, tous les jours, à toute heure de la journée. Pour combler le vide aussi, tuer l’ennui, saboter l’anxiété, booster ma dopamine… Le problème, c’est que le bien-être procuré par ces achats était à chaque fois aussi enivrant que fugace : quelques minutes après l’achat, l’ennui, l’agacement ou l’anxiété reprenaient leur empire sur moi, appelant une nouvelle dose.

Car oui, chères lectrices, chers curieux, petit à petit, mon état de santé s’est détérioré… Je vous rassure, ce n’est pas cette passion du maquillage qui m’a fait sombrer, ni même ces addictions grandissantes, mais elles ont été alimentées par et ont alimentés une détresse façonnée par la période covid, par le surmenage, par une insatisfaction chronique, par mon immersion quotidienne dans les méandres de la très inhospitalière psychiatrie, par un relâchement des belles habitudes que j’avais pris tant de soin à construire, par des soucis de santé bénins mais extrêmement douloureux…

J’ai toujours eu un côté « l’amour du bling », mais je suis aussi attentive à l’environnement. Jusqu’alors, dans mon esprit, mes dépenses en fringues s’équilibraient avec le fais que je ne prenne que très rarement l’avion (trois fois sur les dix dernières années), que je fasse attention aux aliments que j’achète. Surtout, j’étais fière de ne jamais acheter en ligne, hormis une ou deux exceptions annuelles, réservées à des bouquins que je n’arrivait pas à trouver sur Rennes.

J’ai laissé toutes ces attentions s’envoler pendant deux ans et inondé ma boîte aux lettres de colis.

Il est hors de question de continuer ce cirque.

Je me sens vide, je me sens superficielle. Je suis abrutie par trop d’ordi, et je sens mes capacités d’attention décliner. Par bien des aspects je me dégoûte, et je suis en colère de ce pas en arrière magistral dans mon parcours de rétablissement.

Parce que c’est bien ça le problème avec l’addiction, c’est qu’on est plus aux commandes. Il n’y a plus de raison, plus de valeurs, plus d’intelligence qui tienne.

Ce qui m’a inquiété aussi, c’est l’aspect obsédant de ces cycles vidéos-achats. J’étais vraiment obnubilée, tout mon temps libre y passait, et, plus grave, ma capacité à travailler et à me lier au monde s’amenuisait. Plus j’accumulais, plus ma vie rétrécissait.

Je ne vais pas me flageller d’avoir cédé ainsi, et si longtemps, pendant mille ans. Une plus grande propension à l’addiction et aux conduites à risque fait partie des éléments symptomatiques des troubles de l’humeur décrits par la littérature scientifique. Ce n’est en aucun cas une excuse pour continuer de m’y vautrer quand je sais déjà depuis longtemps que mon comportement est problématique, mais je pense que c’est tout de même une invitation à saisir de me traiter avec douceur. Là encore, comme pour le rythme, comme pour la bouffe, comme pour tout un tas de choses, je me bats avec le monstre.

Et puis… Ces deux années ont été dures pour tout le monde. Il y a fort à parier, chers curieux, chères lectrices, que votre équilibre aussi à été malmené ? N’a-t-on pas tous fait de notre mieux ?

Tout n’a pas besoin d’être repeint en noir. Je prends toujours beaucoup de plaisir à créer des maquillages colorés, qu’ils soient minimalistes ou dramatiques, à continuer d’apprendre comment rendre la peau belle, en finesse, sans qu’elle ne paraisse plâtrée. Sans me vanter, j’ai acquis un joli savoir faire, j’ai même maquillé une amie pour son mariage ! Mais ce plaisir commence à être gâché par la honte et la culpabilité que je ressens face à toutes ces dépenses compulsives… J’ai envie de le préserver !

Tout n’a pas besoin d’être repeint en noir : je ne suis pas à proprement parler dans la m****. Je n’ai pas de dettes, je paie mes charges mensuelles… mais je n’ai fait aucune épargne en deux ans, et j’ai commencé à grignoter des économies. Quand je regarde les deux tiroirs de la salle de bain consacrés à ma collection et que je me remémore le prix de chaque produit, je réalise que tout cet argent pourrait être bien au chaud sur un compte en banque pour de beaux projets, où qu’il aurait pu être dépensé de mille et une autres façons…

Tout n’a pas besoin d’être repeint en noir, je prends vraiment plaisir à ces 20, 30, 40 minutes que je passe dans la salle de bain à me « faire une tête ». Je suis quelqu’un qui fait tout vite, ces minutes m’obligent à ralentir. Il y a aussi un effet « peinture de guerre », avant d’entamer des journées où je dois assez souvent aller chercher une confiance en moi qui se dérobe. Me maquiller n’est pas un besoin, je suis aussi à l’aise avec le visage nu. Cet été, par exemple, j’ai passé une semaine de vacances avec une amie, il était hors de question de lui imposer de poireauter une demie-heure tous les jours pour que je me peinturlure (surtout quand j’étais déjà la dernière à me lever…) !

Vous vous dites peut-être que cette nouvelle passion est vraiment futile… Justement, peut-être que ma vie, marquée par la psychiatrie, et mes activités, consacrées à participer à rendre humaine cette dernière, ont besoin d’être aussi alimentées par des choses légères !

Tout n’a pas besoin d’être repeint en noir. Sur le plan professionnel, ces deux années ont été pleine de nouveautés, de rencontres, de réussites, d’enthousiasme. J’ai beaucoup, beaucoup travaillé, et je vois, à force d’efforts, mes envies et mes projets prendre forme. Sur le plan personnel, j’ai des amis fabuleux, je vis une belle histoire d’amour, j’ai une famille soutenante. Par bien des aspects, ces deux dernières années ont été magnifiques !

Tout n’a pas besoin d’être repeint en noir, mais ce nouvel épisode de dépenses inconsidérées ravive d’amers souvenirs.

Ce nouvel épisode a un sale goût de 2012, un sale goût de 2013.

En 2012, une folie d’achats compulsifs s’installe à mesure que la première manie se forme. Pendant des mois, je dépense sans compter : des sapes, des bouquins, du matos de couture et de crochet, des dizaines de feutres à 4 euros l’unité… Mon entrée en psychiatrie au printemps est un rouleau compresseur : isolement et contentions, diagnostique expéditif, prophétie de mauvaise augure, camisole chimique et… 3000 euros de dettes.

En 2013, rebelote. Ma carte bleue est connectée à l’abondance infinie de l’univers. En trois jours : deux paires de lunettes de marque de luxe, un sac de créateur, des centaines d’euros de fringues… J’ai distribué des billets de 20 euros au gens qui faisaient la manche dans la rue. Hospitalisée de nouveau, ma dette s’élève à 2000 euros.

Les deux fois, la banque n’a pas réagi, bien que j’aie dépassé mon découvert autorisé… Si ma famille n’avait pas été là pour me prêter de l’argent, j’aurai été fichée BNF. Si ma famille n’avait pas été là pour m’épargner le remboursement d’une partie des sommes dues, ma vie de 2012 à 2017, marquée par les temps partiels au SMIC, le chômage et le RSA auraient été bien plus difficiles.

J’ai essayé, ces derniers mois, de reconstruire de meilleures habitudes. J’ai tenu, plusieurs fois, une semaine, quinze jours sans dépenser d’argent dans le maquillage ou les fringues. Je n’y arrive pas. J’ai besoin de vraies contraintes, de vrais freins, de vrais systèmes.

Alors j’ai commencé par détruire ma carte bleue.

J’ai vu encore, alors que cette décision était déjà prise, l’ampleur des dégâts : je n’ai pu m’empêcher d’aller réaliser une dernière série d’achats frénétiques…

Pour le mois à venir, j’irai retirer au guichet 100 euros par semaine. 100 euros pour manger, boire un café en ville, pour un ciné.

J’appellerai ensuite ma banque, pour prendre une nouvelle carte. Je remets en place ce qui avait marché après les épisodes de 2012 et 2013, et qui m’avait évité la tutelle qui commençait de se profiler. Je souscrirai un contrat pour une carte visa electron, pour une carte exclusivement de débit (ne me permettant pas de payer dans les magasins et en ligne), et plafonnée à 200 euros par semaine. À l’époque, j’avais autorisé ma mère à avoir accès à mes écritures bancaires, c’était pratique en cas de début de surchauffe, pour vérifier que mon compte ne se vidait pas de son contenu en quelques jours, et elle ne s’est jamais transformée en flic. Je ne pense pas que ce soit nécessaire aujourd’hui.

L’idée, ce n’est pas de mener une vie morne, c’est de rediriger mes dépenses vers des choses qui me font vraiment du bien. Des vacances, un bouquin, un ciné, une pièce de théâtre, un resto… J’ai envie de pouvoir m’autoriser ces moments partagés avec des proches autour d’un verre ou d’un concert qui alimentent les souvenirs, m’autoriser toutes ces choses qui ne me sont plus accessibles si le moindre euro disponible se transforme en palette d’ombre à paupière.

L’idée, c’est aussi d’épargner, d’avoir des sous de côté pour tous les beaux projets que nous formons mon compagnon et moi. Pour les belles choses, et aussi pour que les coups durs fassent moins mal.

J’ai beaucoup à désapprendre. Toutes mes journées sont à repenser. Tous ces mauvais réflexes pris, dont celui d’allumer l’ordi et de me brancher sur des vidéos youtube à la moindre minute de battement, du petit-déj au coucher, dont celui de « faire un tour » dans les magasins quand je m’ennuie, d’attraper un rouge à lèvres à chaque fois que je fais les courses…

Je vais être plus honnête avec ma psychiatre, faire le tour avec elle de ces comportements qui ce sont installés, lui demander de l’aide pour les décortiquer et trouver des solutions.

J’ai bazardé mon compte youtube, je repars à zéro, sans cet algorithme monstrueux que j’ai façonné et qui ne me conseille que de la publicité déguisée. Je réfléchis à des stratégies, des choses à faire quand j’allume l’ordi compulsivement, quand je m’attrape à naviguer sur une boutique en ligne : boire un verre d’eau, m’étirer, sortir marcher un peu. Tout n’est pas encore très calé, et je sais que les semaines à venir seront dures.

Je vais faire une liste, de ce que j’ai le droit d’acheter ou non pour l’année à venir, dans chaque catégorie : maquillage, produits de beauté, fringues, chaussures, mais aussi livres, matériel créatif, etc, pour ne pas remplacer une addiction par une autre. Pour semer de l’intention dans la façon dont je dépense mes sous.

J’ai envie d’être plus créative aussi, d’utiliser ce que j’ai, de prendre plaisir à retrouver des sapes que je n’ai pas mis depuis des mois, de les transformer d’un petit passage à la machine à coudre pour mieux les adapter à mes goûts actuels. J’ai aussi envie de faire un peu de vide, de garder dans ma vie les choses que j’aime vraiment…

L’idée, ce n’est pas forcément de ne rien acheter du tout, mais d’acheter seulement ce dont j’ai besoin. En ce qui concerne le maquillage, je n’ai besoin de rien. Je m’autoriserai à racheter un produit fini seulement si j’ai défini à l’avance qu’il s’agissait d’un indispensable. Je n’ai pas besoin de vêtements. J’aurai peut-être besoin de chaussettes ou de sous-vêtements mais je ne prévois pas d’acheter autre chose. Je m’autoriserai une paire de sandale l’été prochain. Et ainsi de suite…

Je m’impose ces mesures au moins pour un an. Je tiendrais les comptes de chaque fois que je dérogerai à la règle, je prévois de faire des bilans avec ma psy.

Je m’impose ces mesures pour au moins un an, mais je vais avancer au jour le jour, puis semaine après semaine.

J’ai envie de réinjecter du sens, plutôt que d’injecter sans cesse de nouveaux objets dans mon quotidien.

Et je vais y arriver. J’ai déplacé bien d’autres montagnes.

Si toi aussi, cher pair qui me lit, tu te bats avec tes propres comportements addictifs, saches que tu n’est pas seul. Je te souhaite de construire le courage et la force de demander de l’aide, et de construire toute la douceur qu’il te faudra pour continuer de t’aimer dans la tourmente.

À la folie,

Sarah Jolly

Comme promis, voici les dernières nouvelles de mon chemin vers la sobriété…

Une fois ma carte bleue détruite, j’ai pris rendez-vous avec ma banque, soit dix jours plus tard. Entre temps, je me suis rendue compte que ma carte était enregistrée sur deux sites de vente de maquillage… J’ai vérifié fébrilement si elle était enregistrée ailleurs, mais je n’avais que ces deux sites pour jouer. Et j’ai joué. J’ai acheté n’importe quoi, plusieurs fois, des trucs qui me faisaient vaguement envie, à 23h30 après avoir passé deux heure à remplir-vider-remplir des paniers.

Il s’est passé une semaine après le rendez-vous avec ma conseillère avant que je reçoive ma nouvelle carte et que la précédente soit définitivement annulée. J’ai flambé, comme si c’était la flambe de la dernière chance, l’orgie avant le monastère… J’ai acheté des trucs dans les magasins aussi, un pull, deux rouges à lèvres…

Deux semaines de chaos ont donc suivi la rédaction de cet article. Est ce que c’était nécessaire pour vraiment m’écœurer?

Je n’ai rien acheté depuis quinze jours. Je consomme moins de contenu youtube aussi, je suis saisie plus vite par le caractère insipide des vidéos que je baffrais: je m’ennuie en les regardant. J’ai moins envie d’éteindre mon cerveau. Je passe plus de temps dehors, je vois plus les gens que j’aime.

Mais les mauvais réflexes, les impulsions, les pensées dirigées vers toutes ces choses clinquantes sont toujours là. Elles m’appellent.

Je sais que je suis plus forte qu’elles. Je suis déterminée, et en chemin.

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