« Je ne suis pas le fou qu’ils disent » ou les vies invisibles des folies médiatiques.

Chères lectrices, chers curieux, je suis fière et ravie de vous présenter aujourd’hui un projet qui m’anime et me nourrit depuis de longs mois. Ce projet, c’est l’écriture d’une pièce de théâtre autour des représentations médiatiques des troubles psychiques et des personnes concernées par ces troubles.

Si vous avez l’habitude de naviguer au fil des pages d’Une Si Belle Folie, vous savez que je suis très attachée à produire et à favoriser la production de récits plus respectueux de nos vécus, des récits pluriels, réels. Des récits où nos voix s’expriment et font écho ensemble.

L’ambition de cette pièce, c’est celle là, celle d’envoyer valser les images et les mots de folies fantasmées, mystifiées, déformées, le plus souvent au nom d’un sensationnalisme vendeur, et de leur opposer notre diversité. Nos fragilités, mais aussi, et surtout, nos combats, nos forces.

Ce projet s’inscrit dans la continuité des travaux du Groupe Participations Citoyennes du Conseil Rennais en Santé Mentale (CRSM). Ce groupe du CRSM est composé d’usagers de la psychiatrie, de professionnels du secteur médico-social et d’acteurs associatifs et institutionnels. Il a pour objectif de faire émerger les conditions favorables à la représentation et à la participation des personnes fragilisées dans leur santé mentale au sein des instances de droit commun et des structures rennaises. Ses axes de travail – l’emploi en milieu ordinaire, le bénévolat et les médias – ont été déterminés par une enquête auprès de personnes concernées par des troubles psychiques. J’ai rejoint ce groupe l’automne dernier. Dans un très récent Point Météo (1), je vous le présente plus en détail.

Les travaux du sous-groupe Médias et Santé Mentale ont tout de suite attiré mon attention. Dans la continuité des recherches menées ces dernières années par les membres de ce sous-groupe et de leurs échanges avec des journalistes et des étudiants rennais ; l’exploration de la littérature et les rencontres avec des associations de défense des droits des usagers nous ont permis cet automne de mettre à jour plusieurs récurrences dans le traitement
médiatique des sujets liés à la santé mentale.

Partout, dans la presse écrite, les émissions de télévision, les documentaires, les films et les séries, deux figures dominent lorsqu’il est question de troubles psychiques : celle du fou dangereux, du monstre imprévisible, et celle de la victime, objet de pitié infantilisé.

Toutes les problématiques de santé mentale ne sont pas abordées de la même façon : la dépression et les troubles anxieux sont ainsi très peu représentés. À l’inverse, les troubles bipolaires, et à fortiori les schizophrénies occupent le devant de la scène sur les petits et grands écrans, dans des représentations très souvent erronées et/ou essentialistes et stéréotypées, parfois dans le seul but d’offrir des rebonds scénaristiques. Les discours des journalistes, mais aussi d’hommes et de femmes politiques, participent très souvent à associer troubles psychiques et dangerosité. Les emplois métaphoriques sont nombreux, tout comme les titres et les angles sensationnalistes, et les insultes.

Globalement, nous observons un manque cruel de diversité dans le traitement de ces sujets. La parole des premiers concernés est le plus souvent confisquée et la réalité de nos histoires individuelles, de nos difficultés, de nos victoires et de nos parcours de rétablissement est occultée.

Selon nous, ces mots et ces images renforcent la stigmatisation et le sentiment d’exclusion ressenti par les personnes concernées. Ils ont ainsi des conséquences délétères en matière d’accès au soin, à l’emploi, à une vie choisie, et à une citoyenneté pleine. Ces mots et ces images, assenés jour après jour, sont un frein à notre rétablissement, à notre autonomie et à notre l’émancipation, car ils renforcent l’auto-stigmatisation, et participent largement à rendre très difficile le fait de s’exprimer librement sur les aspects pathologiques des troubles où les difficultés que nous rencontrons, amenuisant notre capacité à construire un réseau de soutien respectueux et empathique.

Les soignants et les proches d’usagers souffrent aussi de ces représentations binaires et erronées. Les figures de psychiatres ou d’infirmières sadiques et manipulateurs sont nombreuses. Les proches peuvent être maltraitants, ou à l’inverse verser dans une infantilisation étouffante. Il nous paraît important de créer de l’espace pour toutes ces relations d’aide – thérapeutiques ou personnelles – qui se jouent dans la recherche de l’équilibre, du respect, et de la confiance mutuelle.

Bien sûr, et je suis la première à le dénoncer au fil des articles d’USBF, il existe des soignants et des proches maltraitants, dont il faut apprendre à se protéger. Mais, de la même façon que nous ne sommes « par essence » ni des monstres ni des victimes sans défense, il est intolérable que l’intégralité des relations d’aide soit réduite à des jeux de pouvoir malsains! Plus largement, les figures du fou dangereux et de la victime participent à construire chez tous méfiance et appréhension à l’égard de la psychiatrie, entraînant des retards parfois dramatiques dans la prise en charge de troubles émergents.

Ces représentations n’existent pas ex-nihilo, elles sont le reflet de la société qui les sous-tend. Nous souhaitons remettre en cause les pratiques de certains médias qui utilisent ces figures du « fou » pour dire ce qui précisément échappe à la compréhension dans l’ordre social tel qu’il se définit habituellement et participent à définir le corps social et ses marges. Nous voudrions montrer que ces figures relèvent du fantasme et du mythe. La réalité des troubles et des maladies psychiques y a peu de place, entraînant malgré nous, celles et ceux d’entre nous qui en souffrent, dans une discrimination synonyme de violence, d’isolement et d’exclusion, qui vient s’ajouter aux souffrances que ces troubles et entraînent déjà.

Afin de partager ces problématiques avec le grand public, avec des journalistes, des étudiants, des artistes et des professionnels du secteur médico-social, l’idée et l’envie d’une œuvre théâtrale ont émergé. En effet, les travaux du sous-groupe Médias et Santé Mentale ont montré que ni une opposition frontale (dénoncer les pratiques) ni une approche consensuelle ou suggestive (proposer de meilleures pratiques) ne permettaient d’obtenir des résultats satisfaisants. La poétique et l’humour, associés au processus réflexif, nous semblent donc les meilleures armes pour créer le débat et éviter l’écueil d’une approche trop frontale ou descendante.

Je partage l’écriture de cette pièce avec Thierry Beucher qui est metteur en scène et directeur du Théâtre de l’Intranquillité à Rennes. C’est une très belle opportunité pour moi, et aussi une belle opportunité de mettre à profit les recherches extensives que je mène depuis plusieurs années autour de la folie, de la psychiatrie, du rétablissement… Cela va sans dire, l’expérience de Thierry en tant que comédien, auteur et metteur en scène, mais aussi son regard curieux et sensible, sont indispensables à l’entreprise.

Nous nous attacherons à questionner les logiques d’exclusion qui permettent la production de ces mots et de ces images, en travaillant le sujet sous l’angle de la sociologie, de l’histoire et de l’éthique. Nous espérons ouvrir des brèches, amener un peu d’air frais, pour sortir de cette dualité morale sécuritaire et caritative. Notre envie est de proposer une œuvre accessible, en prise avec la réalité. Nous sommes attachés à l’utilisation de matière brute issue de la pop culture, et à mener un travail d’enquête auprès des personnes concernées et du grand public

Le processus créatif s’inscrit dans une logique de co-construction. Il sera émaillé de rencontres et d’échanges entre Thierry et moi et le groupe participatif du CRSM. Le groupe, composé d’usagers, de professionnels du médico-social, d’acteurs associatifs et institutionnels et de représentants des familles d’usagers, offre un soutien précieux et une participation active à ce projet qui a y trouvé son origine. Nous considérons, ensemble, que notre diversité de points de vue, d’expériences, et de pratiques est précieuse.

Nous continuerons de solliciter les associations de défenses des droits des usagers, des médiateurs en santé pairs, des journalistes spécialistes des questions liées à la santé mentale chaque fois que nous en ressentirons le besoin. Cette diversité nous aide à construire un propos aussi étoffé que nuancé, et nous invite à la recherche d’une justesse partagée.

In fine, nous souhaitons montrer combien l’absence de diversité dans des représentations dominantes et mystifiées ont des répercussions négatives sur les personnes concernées et sur l’ensemble de la population.

Pour cela, nous avons choisi le genre du théâtre documentaire, et de penser la dramaturgie sous une forme légère: deux acteurs/actrices sur le plateau dont les dialogues seront soutenus par la projection de matériau brut issus de séries, de films, d’article de presse ou encore de discours politiques. Cette forme légère permettra à la pièce d’être jouée en une multitude d’endroits, et d’être le support de rencontres, de débats, ou d’actions de sensibilisation ou de formation.

Nous cheminons accompagnés de nombreuses questions : Pourquoi ces représentations sont-elles largement acceptées ? Où trouvent-elles leurs origines ? Quelles sont les émotions qu’elles suscitent ? Quel rôle social et moral remplissent-elles ? Avons-nous besoin de boucs émissaires ? Pourquoi une telle méconnaissance des troubles psychiques persiste ? Pourquoi folie et dangerosité sont-elles à ce point imbriquées dans l’imaginaire collectif ?

Nous travaillons à faire bouger les lignes, tout en saluant les bonnes pratiques et les évolutions positives récentes, et en encourageant des récits pluriels, plus respectueux de nos réalités, que l’on soit usager, soignant, ou aidant. Notre démarche se veut libératrice pour toutes et tous, concernés ou non!

La première est prévue à Rennes courant octobre 2022 lors de la Semaine d’Information sur la Santé Mentale. Une présentation du projet, accompagnée d’un « teaser » aura lieu le samedi 9 octobre 2021 à 20h30 à la salle de l’Association Bourg l’Êvéque au 16 rue Papu à Rennes.

En cette fin de mois de juillet nous commençons notre travail d’enquête. Si le sujet vous intrigue ou, comme moi, vous passionne, et si vous avez envie de nous aider à affiner notre regard, je vous invite à remplir notre questionnaire en cliquant sur le lien ci-dessous. Que vous soyez concerné par une problématique de santé mentale, professionnel du secteur médico-social, ou simplement curieux, votre avis nous intéresse!

lien vers le questionnaire

Le questionnaire explore le sujet en profondeur, vous êtes libre de répondre à tout ou partie. Nous cherchons à faire surgir des ressentis, des émotions, il n’y a pas de mauvaise réponse!

Nous aimerions aussi réaliser des entretiens plus approfondis autour de ces questions, à Rennes ou à l’aide d’une visio. Si vous souhaitez nous rencontrer, obtenir une version papier du questionnaire, ou pour toute question liée à ce projet, vous pouvez nous contacter sur l’adresse USBF (unesibellefolie@protonmail.com) ou sur celle du théâtre de l’Intranquillité (theatre-de-l-intranquillite@orange.fr).

Je vous remercie, très chaleureusement, pour l’intérêt que vous porterez à ce projet!

À la folie,

Sarah

  1. Point Météo du 6/7/21: https://unesibellefolie.com/2021/07/11/6-7-21-soleil-timide-et-chantiers-dete/

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