Après quelques mois nécessaires à la digestion du dernier épisode de violences psychiatriques en date, me voici prête à le retranscrire pour vous.
Comme d’habitude sur USBF, mon objectif est avant tout de renseigner mes pairs, leurs aidants et toute personne souhaitant s’emparer des questions liées au suivi psychiatrique sur ce qui constitue des pratiques de soin et des relations thérapeutiques de qualité, émancipatrices et adaptées aux besoins du patient.
Une grande partie de ce travail d’information consiste à porter une définition positive de ce qui doit constituer ces relations thérapeutiques vertueuses. Ainsi, dans un des tous premiers articles du blog, « Le Bon Mécano » (1), j’explore la notion d’alliance thérapeutique. Au fil des articles, je n’ai de cesse de vous inviter, très chers pairs, à choisir des soignants qui vous conviennent, à comprendre que ce qui se joue, des deux côtés du bureau du psychiatre est avant tout affaire de confiance, d’engagement, de rencontre.
Il est des psychiatres, et plus largement des soignants, qui font un travail merveilleux.
Un très grand nombre d’entre eux font, sincèrement je crois, de leur mieux, avec les moyens qui sont les leurs.
Certains de ces « médecins » sont pourtant dangereux. Ils usent et abusent de leur position de pouvoir pour mener des jeux malsains avec les patients. Ils se permettent d’exposer des préjugés moraux et des limites qui portent lourdement préjudice aux personnes qui sont censées leur faire confiance (2). Ils usent de la chimie comme s’ils avaient affaire à des chevaux, ou à des tueurs en série, noyant toute possibilité de rétablissement.
Si poser les bases qui, dans l’échange, favorisent la création d’une alliance thérapeutique est essentiel, démasquer les impostures et mettre à jour les stratagèmes ignobles des charlatans qui gangrènent la discipline est salutaire, pour que nous apprenions à nous défendre et à nous protéger. Tel est l’objectif de cette série ATTENTION, PSYCHIATRE MECHANT.
Sans plus attendre, voici le récit du bras de fer musclé du printemps dernier, qui m’oppose à la Dr R.
Lorsque le premier confinement est tombé, ce 17 mars 2020, j’ai buggé, comme beaucoup de monde je crois. J’avais rendez-vous avec le Dr R. quelques jours après, et je ne m’y suis pas présentée. Je ne l’ai pas prévenu non plus. Je n’avais pas d’excuse, à part celle d’être un peu abasourdie par la crise sanitaire. Notons juste qu’en un an et demi c’est le seul rendez-vous que j’ai manqué.
Je la recontacte quelques semaines plus tard pour reprendre un rendez-vous. La conversation téléphonique est laborieuse et tourne autour de l’affront que je lui ai fait en ne venant pas à ce rendez-vous. Je dois présenter des excuses plusieurs fois, bien que je l’aie fait dès le début de l’appel, en même temps que je me suis engagée à m’acquitter des honoraires de cette séance manquée. Elle est énervée, parce qu’elle a dû remplir mon dossier pour la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) « en urgence ». D’urgence, en fait, il s’agissait d’une semaine entre le rendez-vous où je lui ai demandé de remplir mon dossier et le rendez-vous manqué. J’ai des difficultés à imaginer qu’elle ait planché sur mon dossier à 2h du matin… Passons. Lors de cet appel, je lui signifie que ma demande concernait à la fois le renouvellement de ma reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH) et celui de mon allocation adulte handicapé (AAH) (3). Elle a l’air étonnée, et cette dernière demande semble lui poser problème, sans qu’elle s’explique réellement au téléphone.
C’est comme si, après un an et demi de séances, elle découvrait que je perçois l’AAH.
Je me rends au rendez-vous. On est au tout début du premier déconfinement, à la fin du mois de mai. Elle entame le rendez-vous par un nouveau laïus sur le rendez-vous manqué. Je lui présente à nouveau des excuses.
Puis elle enchaîne d’un « Je ne comprends pas bien, cette histoire d’AAH, les gens comme vous n’en ont pas besoin, enfin, bon, je ne vous connais pas, s’il faut respecter ce qu’un collègue a décidé… ».

Avant de décortiquer tout ce que son attitude et cet énoncé ont d’abject, laissez-moi vous expliquer la genèse de la mise en place de l’AAH dans mon parcours de rétablissement.
Et peut-être, avant toute chose, vous en dire un peu plus sur ce qu’est cette allocation. Pour cela, je vous propose la définition des services publics : « L’allocation aux adultes handicapés (AAH) est une aide financière qui permet d’avoir un minimum de ressources. Cette aide est attribuée sous réserve de respecter des critères d’incapacité, d’âge, de résidence et de ressources. Elle est accordée sur décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Son montant vient compléter vos éventuelles autres ressources. ». L’AAH est une allocation de 902euros par mois. La notion centrale est celle d’incapacité. Pour percevoir l’allocation, il faut qu’un taux d’incapacité (plus de 80% ou entre 50 et 80% selon les cas) soit établi par la CDAPH selon ses barèmes d’évaluation. D’incapacité, il s’agit en fait d’impossibilité pour la personne en situation de handicap de travailler ou de trouver un emploi adapté à ses besoins, et donc de s’assurer des revenus lui permettant de vivre. Elle peut être attribuée pour 1, 2, 5, 10 ou 20 ans ou pour la vie, en fonction des situations, elle est conditionnée par les revenus de la personne et les revenus du ménage.
Cette allocation existe depuis 1975, mais elle n’est ouverte aux personnes en situation de handicap psychique qu’en 2005, suite à un long combat mené notamment par les associations de familles des patients, l’union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM) en tête. Il serait très intéressant d’explorer plus avant la notion de handicap et les problématiques qui lui sont liées, mais, pour le besoin de l’affaire qui nous occupe, nous nous contenterons de ces quelques informations.
Je profite par contre de cet article pour attirer votre attention sur ce point précis, énoncé plus haut: au-delà d’un certain plafond l’AAH et les revenus du ménage ne sont pas cumulables. En effet « si le plafond des revenus du couple dépasse 19 607 euros par an (l’équivalent de 1630 euros par mois), en 2020, l’AAH n’est plus versée à la personne conjointe handicapée. Ce plafond est aussi majoré de 5400 euros environ par enfant à charge. Dès le dépassement de ce seuil, la personne conjointe handicapée n’apporte plus au revenu mensuel du couple ses 902,70 € d’AAH. » Privée de cette allocation, la personne en situation de handicap ne dispose alors plus d’argent en son nom et est totalement tributaire des revenus du conjoint. Cette situation augmente et aggrave les situations de dépendance et de violence. Une pétition circule pour interpeller le Sénat, et demande la désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l’AAH. Une proposition de loi a déjà été adoptée par l’assemblée nationale en février dernier, mais la route est encore longue, nous avons besoin de 100 000 signatures, nous avons besoin de vous! Voici le lien vers la pétition, à signer et à diffuser de la manière la plus large possible:
Vous êtes allés signer la pétition et vous l’avez partagée sur tous vos réseaux sociaux? Super! Nous pouvons continuer et revenir dans le bureau de mon ex-psychiatre: « Je ne comprends pas bien, cette histoire d’AAH, les gens comme vous n’en ont pas besoin, enfin, bon, je ne vous connais pas, s’il faut respecter ce qu’un collègue a décidé… ».
Et me voilà, à me justifier devant la Dr R. de percevoir et de demander un renouvellement de l’AAH, à répondre à son commentaire dégueulasse : « Les gens comme vous n’en ont pas besoin… ». Je lui refais l’historique de cette décision que nous avions prise deux ans et demi plus tôt avec le Dr D.. Elle continue de m’assener des phrases toutes faites, sans rebondir ou me donner son avis sur ce que je lui dis. Je finis la séance tremblante et en pleurs, mon papier de renouvellement d’AAH dans la main, pour lequel j’ai dû presque littéralement me mettre à genoux.
Je m’en suis voulue, de mettre abaissée à me justifier de la sorte. Là, déjà, j’aurai dû lui claquer la porte au nez. Aujourd’hui pourtant, j’ai envie de partager avec vous, chers lecteurs et chères curieuses, ce qui m’a amené à demander cette allocation et ce qui aujourd’hui m’amène à renouveler ma demande.
Cette discussion, celle de l’AAH, nous l’avions déjà eu, la Dr R. et moi lors des premières séances. Ce que je m’évertuais à lui expliquer, tout en me sentant acculée à le faire, je le lui avais déjà dit. Attention, ne vous méprenez pas : Je sais, et qui plus est j’adhère totalement à ce principe, que faire cette démarche implique une conversation, et pourquoi pas même une négociation entre moi et mon thérapeute. L’AAH est une démarche personnelle que je suis en droit d’entreprendre, et pour cela je lui demande son aide. En fait d’aide, elle ne me renvoie que jugement (« les gens comme vous ») et désengagement (« je ne vous connais pas »), c’est-à-dire le contraire de la bienveillance et de la construction d’un consensus sur la nécessité (ou l’absence de nécessité) pour moi de continuer à bénéficier de cette aide.
Je perçois l’AAH depuis l’automne 2018. Elle m’est alors attribuée pour deux ans. Les deux premières années après l’explosion, qui ont été les plus douloureuses de ma vie, en 2012 et 2013, je fais des allers retours entre l’hôpital et le CMP, je ne sais pas qu’une telle allocation existe. Fin 2013, j’entame un suivi avec le Dr D. qui est spécialiste des troubles de l’humeur, et, mieux renseignée, je lui pose la question : est-ce judicieux pour moi de faire une demande d’AAH ?
Après un an de chômage, j’ai repris à la rentrée 2013 un poste d’assistante d’éducation dans un lycée, à temps partiel. Entre la rentrée et Noël, aller travailler est un supplice, je passe mes journées à prier pour que ni mes collègues ni les élèves ne découvrent ce qui se cache derrière le masque que je maintiens à grande peine : le mal-être, la peur, la dépression. Pour autant, entre l’explosion et le moment où je pose cette question au Dr D., le chômage et la reprise du travail m’ont permis de conserver des revenus stables, bien que modestes. Sa réponse est négative : non, il n’est pas pour l’instant judicieux de faire une demande.
Sa réponse est négative et convaincante, car il prend le temps d’argumenter. Plusieurs raisons motivent sa réaction. Tout d’abord, comme je l’ai expliqué plus haut, je parviens à maintenir des revenus à peu près équivalent au montant de l’allocation, et, même si c’est très difficile, j’ai repris une activité, et c’est un signe encourageant pour l’avenir. Il m’invite aussi à prendre en compte le caractère récent de l’apparition du trouble. Sa démarche auprès de moi est de travailler à mon émancipation et à ce que je retrouve la plus grande autonomie possible, il lui paraît donc prématuré de formuler une demande d’aide alors qu’il a bon espoir que je parvienne à une connaissance et une gestion du trouble suffisante pour qu’il ne soit pas un obstacle à une vie professionnelle. Pour lui, obtenir une allocation participerait à cristalliser ou réifier en moi un « statut de malade », qu’il me faut dépasser si je souhaite me rétablir. Je comprends tout à fait ses arguments, et nous décidons ensemble de laisser de côté cette idée.
En 2017, lorsque je décide d’entamer cette démarche et de demander l’AAH, c’est aussi le Dr D. qui est à mes côtés. Il accepte de remplir le dossier, et nous convenons ensemble de la manière la plus intéressante pour moi d’appréhender cette aide : comme un tremplin. Entre 2012 et 2017, ma vie professionnelle est assez chaotique. J’effectue deux années scolaires en tant qu’assistante d’éducation, le reste n’étant que périodes chômées à l’exception d’un court contrat d’animation. Je tente en 2014 de reprendre un master que j’abandonne avant la fin du premier semestre. Au moment de remplir la paperasse, je touche des ASS à peine plus élevées que le RSA. Mes perspectives d’emploi sont minces : je n’ai réussi qu’à retourner vers des emplois que je connaissais, précaires, sans possibilité d’évolution ou de pérennité. Les assistants d’éducation peuvent effectuer au maximum six années de service et je n’ai pas de diplôme d’animatrice. Mes licences en sciences humaines et mon demi master ne semblent alors pas valoir grand-chose sur le « marché du travail ».
Pourtant, en 2017, je vais bien, ou en tout cas de mieux en mieux, et ce sur tous les autres aspects de ma vie. Mais sur la question précise du travail, je suis comme tétanisée, pleine de doutes, de manque de confiance. L’horizon semble bouché. Ma situation financière s’est dégradée, et je subis avec peine la précarité, la manière dont elle pèse sur mes choix et mon quotidien, l’étau qu’elle impose à mon esprit.
La MDPH valide ma demande et m’accorde l’allocation pour deux ans. Je commence à percevoir l’AAH en novembre 2018. J’aborde cette nouvelle phase exactement comme il l’avait été décidé : comme un tremplin. La levée d’une grande partie des craintes liées à l’insécurité dans laquelle je me trouvais libère et augmente le champ des possibles.
En janvier 2019, une amie me suggère de postuler dans la boîte qu’elle vient de quitter, et propose de me briefer. Un boulot hyper intéressant, bien rémunéré, mais aussi très stressant, énergivore. Un boulot où il s’agit de faire ses preuves à chaque instant. Un boulot « couteau suisse » de guide-animatrice-coordinatrice auprès de touristes, des retraités américains, lors de séjours de deux à trois semaines. Journées doubles sans aucune minute de répit, et un savoir pharaonique à accumuler sur les villes et les sites traversés. J’ai relevé le défi, et je me suis donnée à 1000% à chaque étape, du recrutement au stage, des semaines de préparation sans compter mes heures aux premières croisières forcément difficiles.
J’ai survécu à ma première saison, avec l’envie d’une seconde. J’ai passé l’hiver à travailler à la première version d’un roman, fière d’avoir enfin trouvé un équilibre qui me permettait d’avoir du temps pour écrire, et, pour la première fois, de vraiment employer mon temps libre à façonner ces projets, le roman et le blog. Pour la première fois aussi, je me projette sur les trois ou quatre années qui viennent, les croisières de mars à octobre, et l’hiver à écrire.
Fin février, la boîte nous réunis tous pour le lancement de la saison. Quelques jours plus tard, le virus nous coupe l’herbe sous le pied. Je perds mon emploi, en même temps que toute possibilité de trouver un autre poste dans le tourisme pour la saison 2020.
J’avais besoin de vous raconter tout ça pour que vous compreniez combien l’attitude de la Dr R. a été dégueulasse. Là, dans ce contexte précis, déboussolant, bouleversant, alors que je lui dis que je viens de perdre mon emploi, que la crise sanitaire me demande, à moi comme à tous, de mobiliser tous mes efforts pour garder le moral et l’appétit de la vie, c’est ce moment précis qu’elle choisit de me dire « les gens comme vous n’ont pas besoin de l’AAH ».
Quand je lui refais l’historique, et que je lui explique ma démarche, que je lui dis que je pense sincèrement que de bénéficier de l’allocation encore un an ou deux me permettra de consolider mes projets, que je considère que c’est une béquille, elle me répond « oui, enfin, si vous croyez avoir besoin de ce béquillage » en y mettant tout ce qu’elle peut de péjoratif. Elle marche sans vergogne sur tous les efforts des deux années écoulées.
Et puis, qu’est-ce que ça veut dire « les gens comme moi » ? Qui soigne-t-on dans ce bureau ? Quand je lui dis qu’avoir l’air d’aller bien ne veut pas dire que la vie soit toujours facile, que je travaille beaucoup à façonner cette image de stabilité, elle me répond « Oui, oui, c’est bien connu, les bipolaires savent masquer leurs émotions ». Si elle le sait, pourquoi remettre en cause les besoins que j’exprime ? Tout dans son comportement est odieux, et particulièrement son « je ne vous connais pas », quand ça fait un an et demie que je fréquente son bureau, soit une dizaine de séances, que j’ai réclamé à plusieurs reprises des séances consacrées à faire mieux connaissance, qu’elle est censée être ma psychiatre référente ? Là, en pleurs, je lui demande son avis et elle ne me propose aucune explication, aucun autre argument que les quelques paroles cinglantes que je vous rapporte. Un tel désengagement est totalement contraire à l’éthique et à la déontologie de la profession !
Je sors du bureau bouleversée, et entame un cycle de ruminations intensives. Je vrille de moins en moins souvent. Je vrille sous l’injustice, c’est à chaque fois le signe que je suis victime de maltraitance, et dans le cas qui nous préoccupe, la crise est amplifiée par la position de pouvoir qu’occupe celle qui est censée m’accompagner. Dans ces cas, là, j’ai besoin de faire et refaire le tour de la question mille fois. Tous les doutes liés au fait de faire cette demande d’aide remontent, parce que, contrairement à ce qu’elle semble croire, c’est quelque chose que je questionne, avec laquelle je suis souvent mal à l’aise. Je recrée l’historique de cette relation thérapeutique qui n’en est pas une. Chaque détail que j’exhume me donne raison, révèle son incompétence et sa malveillance. La manière dont elle m’a répondu quand je lui demandais des informations sur la faisabilité d’une grossesse « C’est extrêmement difficile, extrêmement difficile ». Elle m’avait envoyé voir la biologiste du CHU, sans aucun conseil, aucun commentaire, ni avant, ni après… Même les aménagements de traitement qu’elle proposait étaient à côté de la plaque, et je les corrigeais avec la Dr L. qui assurait ma psychothérapie, bien qu’elle n’était pas ma prescriptrice… Je vrillais à mesure que je revisitais toutes ses micro-agressions, tous ses jugements moraux et limitants, toute son incompétence à m’accompagner et me dispenser des infos et des outils utiles. Je vrillais parce que je ne comprenais pas de ne pas avoir réagi plus tôt.
Avec le Dr R., la relation thérapeutique n’a jamais été excellente. Je le savais, mais j’acceptais ses commentaires à côté de la plaque parce que je pensais qu’elle était rigoureuse, et que j’étais donc en sécurité. Si j’ai mis autant de temps et qu’il a fallu un conflit aussi important que celui lié au renouvellement de mon AAH, c’est aussi parce que j’étais fatiguée. Je sortais d’un an de suivi avec le Dr B. qui se contentait de renouveler mon ordonnance et se rappelait de mon nom au moment où je lui tendais la carte vitale, j’avais contacté plusieurs psychiatres qui ne prenaient pas de nouveaux patients. J’avais voulu y croire, et croire que je pouvais me contenter d’une relation seulement à moitié satisfaisante…
Au beau milieu de mes ruminations, quelque chose m’a frappé: je me suis rappelé que la Dr S. me demandait 4 euros supplémentaires à chaque séance. Je n’ai pas à avancer les soins chez le psychiatre, mes troubles de l’humeur sont enregistrés en tant qu’affection longue durée (ALD) à la sécu, ce qui me dispense d’avancer les frais médicaux liés au trouble, et je bénéficie en outre de la CMU. Tout d’un coup, ces 4 euros de la main à la main devenaient plus que suspects. Elle avait posé la chose lors de la première séance sans vraiment l’expliquer « il ne se passe pas n’importe quoi, hein, tout de même ». Je l’avais perçu comme un vague sursaut du principe psychanalytique qui veut que la somme réglée régule la relation de dépendance, et j’avais laissé couler, là aussi mue par la fatigue liée à la recherche d’un thérapeute.
J’avais envie d’y voir plus clair, toujours à la recherche d’indices qui me prouveraient une énième fois que cette psychiatre était tout bonnement détestable. Je me suis renseignée sur les dépassements d’honoraires. Le site de l’assurance maladie est très clair, auprès d’un patient bénéficiant de la CMU, tout dépassement d’honoraires est interdit (sauf dans des cas très précis qui ne correspondaient pas à la situation). J’ai tout de même appelé une association de défense des patients pour exposer ma situation, là aussi, mon interlocutrice a été catégorique, cette pratique est illégale. Elle a même été très choquée quand je lui ai raconté les pièces données la main à la main. Je lui ai demandé quels étaient mes moyens de recours. Elle m’a d’abord conseillé d’essayer de régler le litige à l’amiable, puis m’a indiqué que j’étais en droit de saisir l’assurance maladie, le défenseur des droits, et l’ordre des médecins si le contentieux persistait. J’ai aussi été vérifier qu’elle était bien conventionnée secteur 1.
Quelque soit l’angle par lequel j’abordais la question, sa pratique était définitivement hors des clous.
Même si l’on jugeait qu’un geste financier symbolique soit nécessaire à la relation thérapeutique, 1 euro eut très bien fait l’affaire. 4 euros, c’est pour moi ce qu’elle estimait être une prise de risque mesurée, un apport non négligeable, mais assez faible pour passer sous le radar.
Si elle l’exigeait de moi, elle devait aussi le demander au reste de sa patientèle. À combien de bénéficiaires de la CMU ou de l’ALD, à combien de personnes fragiles et précaires avait-elle extorqué 4 euros par séances ? Pendant combien de temps ? Je vous laisse imaginer les sommes, à raison de 50, 60 rendez-vous par semaine, sur 40 ans de carrière…
Je vous l’ai dit, j’ai tourné, retourné, re-re-retourné tout ça en boucle, en long, en large, en travers. J’ai pu bénéficier d’un dernier rendez-vous avec la Dr L. juste avant son départ en retraite. La Dr L. était ma psychiatre depuis 2014 mais prenait en charge auprès de moi exclusivement une thérapie par la parole. J’ai pu lui exposer la situation. Sans fustiger sa collègue, elle m’a dit de m’écouter et de me faire confiance. J’ai donc pris une décision.
J’étais résolue à mettre un terme à la relation, mais, d’abord, je souhaitais pouvoir à la fois lui exprimer tout ce que je pensais du « suivi » qu’elle m’avait dispensé, et la confronter au sujet des dépassements d’honoraires qu’elle m’avait imposés, et à minima lui demander de me les rembourser.
J’ai demandé à ma mère de m’accompagner au rendez-vous suivant. Si vous êtes des lecteurs et des curieuses assidues, vous savez déjà que ma mère a été et est une alliée précieuse de mon rétablissement. Je ne peux que saluer son engagement auprès de moi et la remercier d’avoir une nouvelle fois mouillé la chemise à mes côtés. J’avais besoin de quelqu’un qui sache garder son calme, m’aider à ne pas trop monter dans les tours, et qui ne soit pas impressionner par la Dr R. Comme beaucoup de nos aidants, ma mère est très bien renseignée sur le trouble, elle peut elle aussi jargonner.
Très honnêtement, je suis bien incapable de retranscrire l’intégralité des échanges. Tout s’est déroulé très vite.
La Dr R. a d’abord été gênée que je demande à être accompagnée, ce qu’elle a tenté de déguiser en « ce n’est pas très en accord avec les mesures covid », avant d’accepter que ma mère assiste au rendez-vous.
Il nous a très rapidement été impossible de communiquer, j’étais nerveuse, et mon ton a pu être agressif, mais j’ai choisi mes mots, j’ai essayé de lui dire ce que j’avais ressenti, ce qui m’avait gêné, notamment lors du dernier rendez-vous. Elle répondait sur la défensive, sans faire de commentaires sur ce que je lui disais, sans chercher à trouver un terrain où il soit possible d’échanger. Je lui ai dit que je souhaitais mettre un terme à cette relation, j’ai répété que je voulais lui expliquer pourquoi. Ma mère a essayé aussi de lui demander de m’écouter. Après à peine quelques minutes, elle a dit « bon, puisque c’est comme ça, je ne vois pas pourquoi continuer cet entretien » et elle s’est préparée à nous mettre à la porte.
Je lui ai répondu un truc du genre « vous allez m’écouter, parce que le dernier point dont je souhaite vous parler, ce sont vos honoraires ». À partir de là il n’était plus possible de parler d’autre chose. Elle a attaqué d’un « quoi mes honoraires, mais je les déclare aux impôts, tout est normal, certains collègues demandent beaucoup plus… ». Je savais que c’était faux, puisque si c’était le cas, ils seraient apparus sur les écritures de la sécu que j’avais épluchées. J’avais mon discours tout prêt : CMU et ALD, secteur 1, pratiques illégales, voies de recours : assurance maladie, ordre des médecins… Elle a littéralement plongé dans son porte monnaie « bon, c’est combien de séances, combien je vous dois ? ». J’avais compté les séances : 9. Je lui ai indiqué que je ne voulais pas d’argent liquide mais un chèque, qu’elle s’est engagée à m’envoyer dans les plus brefs délais. Elle s’est empressée ensuite de nous mettre à la porte. Je suis partie après lui avoir dit qu’elle devrait avoir honte, de profiter des gens en situation de faiblesse, de profiter de gens qu’elle était censée protéger et accompagner.
Pensez-vous vraiment qu’un médecin dans son bon droit aurait eu une telle attitude ?
L’entrevue n’a duré que quelques minutes, quelques minutes bien bouleversantes, mais j’étais soulagée. La Dr R. avait été égale à elle-même : lâche, nuisible. Escroc. Ma mère était atterrée de sa réaction, du fait qu’elle ait d’emblée quitté toute bienveillance, alors qu’elle m’accompagnait depuis déjà un long moment, et qu’elle n’ait pas d’abord cherché à calmer le jeu, lorsque je tentais de discuter de mon suivi. « Elle n’a pas été du tout professionnelle : c’est vrai que tu étais un peu remontée, mais, son boulot, c’est quand même psychiatre, elle a dû en voir d’autres ! ».
Le surlendemain, j’avais un chèque de 36 euros dans la boîte aux lettres.
L’épisode m’a beaucoup secouée, mais pour l’essentiel en amont de cette dernière rencontre. Il y a quelques années déjà, je me suis promis que je ne me laisserai pas marcher dessus par des gens mal intentionnés, qui plus est s’ils occupent une position de pouvoir vis-à-vis de moi. J’ai juré qu’à chaque fois que j’en aurai la force, j’irai défendre ma dignité devant ceux qui la piétinent. Si je me suis fait cette promesse, c’est justement parce qu’il y a eu trop de fois où je n’ai pas su, où je n’ai pas pu me défendre. Lors des hospitalisations contraintes, face au Dr A. qui entretenait la camisole chimique laissée par la première hospitalisation, face au Dr L. et ses jugements moraux infects (2), face au Dr B. qui aurait bien mérité que je lui dise ce que je pense de ses renouvellements d’ordonnances… Ressortir de certaines situations de violence perpétrées par des médecins ou des supérieurs hiérarchiques la tête haute, même si ce n’est pas à chaque fois, même si je n’y trouve pas forcément de réparation, me rend forte, mieux à même de déceler les violences à venir. Cette attitude me rend fière.
Pourtant, suis-je tout à fait fière de moi ?
Pas totalement, non. Le conflit qui m’opposait à la Dr R. dépassait largement ma seule situation. Depuis 2019, dans certains cas précis, les enquêtes concernant les dépassements d’honoraires peuvent être étendues à l’ensemble de la patientèle. Saisir l’assurance maladie et l’ordre des médecins aurait peut-être permis d’aider d’autres que moi. J’ai eu peur de me lancer dans une bataille juridique, peur de devoir fournir trop d’énergie alors que je n’étais pas au mieux de ma forme. J’ai eu peur, aussi, qu’une stratégie trop agressive à l’encontre de la Dr R., ait des répercussions sur mes demandes de renouvellement de RQTH et d’AAH, puisqu’elle reste la signataire de ces demandes. J’ai essayé de m’en prémunir au mieux en conservant une copie du chèque, histoire d’avoir des billes à jouer en cas de complications…
Malgré cet aveu de lâcheté, j’espère que la lecture de mes dernières mésaventures psychiatriques vous aura donné de la force pour affronter les violences dont vous pourrez être l’objet, pour avoir le courage de rompre une relation qui vous malmène, ou qui n’est simplement pas satisfaisante.
L’épisode a eu lieu à la fin du mois de juin. Depuis, j’ai rencontré la Dr G. qui est très douce, et qui prend le temps d’apprendre à me connaître. J’ai confiance en elle. Il existe d’excellents thérapeutes, ne perdons pas notre temps et nos plumes avec des charlatans !
À la folie,
Sarah
- Le Bon Mécano 1 et 2: https://unesibellefolie.com/2020/06/14/le-bon-mecano/ https://unesibellefolie.com/2020/06/18/le-bon-mecano-2/
- Attention : Psychiatre Méchant (vol.1) https://unesibellefolie.com/2020/09/27/attention-psychiatre-mechant-vol-1/